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ce qu’un vain peuple pense : des catégories bien définies, soigneusement étiquetées, qu’un psychologue peut extraire, et à loisir, analyser. Non, chacune de nos émotions demeure un ensemble, s’offre comme des processus d’états d’âme qui se compénètrent, se teintent de mille nuances et se prolongent les uns dans les autres. Leur somme constitue l’intensité qualitative d’une vie.

Ç’aura été la gloire de l’école symboliste d’avoir inventé la forme nécessaire à l’expression de ces processus psychiques, d’une délicatesse si ténue et comme instantanée, qu’on risque d’effeuiller à les vouloir cueillir dans la seconde de leur épanouissement éphémère. Deux principes généraux ont présidé à l’élaboration de cette forme poétique.

Le premier, étant donné le renouvellement incessant de la vie, qui évolue en se continuant et progresse en durant, impose la destruction acharnée des deux plus mortels ennemis de l’art : le factice et le conventionnel. La haine du cliché, de « l’effet de l’art », enflamme jusqu’au délire le cerveau du vrai poète. Le symboliste a conservé la force de s’indigner en face des lieux communs bourgeois, de pourfendre les images banales, de pulvériser le plâtre des métaphores creuses, et sa poésie se dresse devant nous comme le plus noble effort tenté depuis le romantisme pour rajeunir le verbe, calquer le mot sur l’état