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Page:Visan - Paysages introspectifs, 1904.djvu/73

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l’on voudra entre la couleur verte et la couleur jaune, entre un son et un autre son. Dans l’intérieur d’un sens il y a donc toujours continuité. En second lieu, si nous essayons de passer d’un sens à un autre, un abîme de discontinuité nous arrête. De la série des couleurs passez à un son, un intervalle se dresse. Il y a donc une zone de clair-obscur entre chaque sens et tous les autres. D’où cette loi générale : à l’intérieur d’un même sens il y a continuité ; d’un sens à un autre, discontinuité. Comme la philosophie, la poésie, plaisir désintéressé, s’essaye à rétablir entre toutes les données de tous les sens cette continuité que les exigences pratiques, pressées dans leur fin à réaliser et simplificatrices, ont rompu. Autrement dit, la matière, donnée originellement à notre conscience, est un continu ; mettez en présence de la matière une conscience, aussitôt cette continuité se brise, apparaît sous forme de discontinuité, parce qu’on ne peut se représenter la conscience et la matière se développant avec le même rythme de durée. La matière a comme une respiration intérieure plus rapide que la conscience. Là donc où il y a continuité dans le temps, nous apercevons une discontinuité. Tout l’effort du métaphysicien et du grand poète doit tendre à ceci : rétablir la continuité primordiale en s’élevant au-dessus des contingences pour s’adapter de mieux en mieux au Réel.

Nos sentiments aussi ne sont pas en eux-mêmes