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Page:Walch - Anthologie des poètes français contemporains, t1.djvu/305

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LE CHANT DU CRAPAUD


POÈME


Le chant du crapaud est très doux,
Mais d’une tristesse infinie,
Comme celle des chants hindous,
Car il sait son ignominie.

N’en doutez pas, son œil le dit,
Ce pauvre œil qui n’est qu’une larme,
Où danse l’éternelle alarme
De l’être faible, donc maudit !

Il sait qu’il a pour fin dernière
D’allégoriser le dégoût
Et qu’il fait honte au rat d’égout
Comme à la limace d’ornière ;

Que le Maître, à d’autres bénin,
Lui fixa la part inégale,
S’il a déjà, pour chair, la gale
D’y rouler, pour sang, le venin.

Il se rend compte de ces choses
Et que pour lui, dans aucun lieu
Céleste, il n’est, rebut de Dieu,
D’espoir en des métamorphoses !…

Tel il fut par Adonaï
Conçu pour l’effroi qu’il inspire,
De ses chefs-d !œuvre il est le pire :
Oh ! créé pour être haï !…

Être le type d’une race
Grotesque et lugubre à la fois,
Né d’un reste de boue aux doigts
Dont le Modeleur se décrasse !…

Il ne comprend rien à son sort
Et s’en plaint d’une voix si tendre
Que l’âme arrête pour l’entendre
Tous les tictacs de son ressort.