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ÂME BLANCHE

paisibles et silencieux. J’aurais voulu être à leur place, et vivre ainsi, dans cette immobilité, ce silence, cette paix, entre le ciel et l’eau. Je les regardais passer en souhaitant de les suivre, de les accompagner, de m’en aller avec eux, loin, loin, vers des contrées inconnues dont je n’aurais jamais aperçu le rivage…, et d’avancer ainsi sans bruit, sans effort apparent, sans mouvement sensible, au fil de quelque onde chimérique,

Toute l’existence des mariniers se résumait pour moi, alors, en cette image d’une absolue sérénité dans l’inaction, la contemplation et le mutisme. Ne les connaissant que pour les avoir observés à distance, mes pieds sur la berge, tandis qu’eux-mêmes voguaient sur le canal fluide, je n’aurais pu me figurer ces gens-là parlant, agissant, marchant comme je le faisais moi-même ; ils me représentaient plutôt des personnages de kaléidoscope, donnant l’illusion précise de la vie, mais avec ses formes et ses couleurs seulement, à l’exclusion de tout ce qui dénonce la vie par des actes, des gestes ou des sons. Ils réalisaient à mes yeux l’idéal de la félicité, non, de l’allégresse : celle-ci suppose de l’expansion, de la gaîté vibrante, du plaisir éclatant, et c’est tout le contraire, c’est de la jouissance discrète et profonde que devaient ressentir, je me l’imaginais, les bateliers dans leur nef lente.