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Page:Yver - Cher coeur humain.djvu/190

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j’y pense. J’en avais vingt-sept alors. J’ai communié au printemps même.

Elle était réservée et obscure comme les enfants. Une raquette de premier ordre, semblant se dépenser toute, bondissante, dansante, sur les courts de Saint-Cloud, après les balles comme une hirondelle après une mouche. Mais ce n’était que la centième partie de sa vie, de même que ses rires incoercibles devant un jeune homme gauche, une vieille dame fagotée, de même que ses vocalises capricieuses pour un rayon de soleil. Sa puérile tendresse, il fallait la lui arracher, lui demander dix fois le jour : « M’aimez-vous ? » Jamais elle ne m’embrassait que dans l’obscurité. Puis, certaines nuits, des mots de femme :

« Vous êtes mon océan. » « Oh ! Pierre, je suis si petite… »

Tu comprends, mon vieux, seize ans, ce n’est pas l’âge de la méfiance et son soupçon ne date pas de là. Mais c’est l’âge des jardins secrets. Je m’aperçus bientôt qu’elle fermait à clef la commode Louis XV de notre chambre où elle rangeait de vieilles poupées, un certain carton bleu, les gants d’une petite fille inconnue, et les photographies de son voyage en Espagne. Je la trouvais parfois à genoux devant un des tiroirs, roulant un ruban sur ses doigts. À quoi pensait-elle ?