Page:Yver - La Bergerie.djvu/22

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caserne Saint-Vivien, où je suis soldat de première classe. Voilà pour mon état civil qui est fort simple. Voici pour mon état d’âme qui ne l’est pas moins. Je suis seul, je suis un sans-famille et un sans-foyer.

« Nul ne s’est jamais soucié de moi que mon tuteur, l’homme du monde Île plus homme du monde et le moins tuteur qu’il y ait. Je lui dois d’avoir été trois fois au Bois de Boulogne, autant à l’Opéra, et onze années entre les murs du lycée Racine. Il a mon estime et mon respect, mais si jamais je deviens tuteur d’un garçon sans famille, lycéen abandonné qui n’ait rien fait de sa vie pour mériter d’être forçat, je me souviendrai d’aller le voir quelquefois le dimanche.

« J’ai pensé, madame, que vous auriez peut-être quelque chagrin à savoir le fils de votre frère dans ce grand isolement moral ; et cette pensée de quelqu’un au monde se chagrinant à mon sujet m’est apparue tout d’un coup si séduisante, que je n’ai pu résister au désir de vous écrire. On m’a bien dit qu’entre vous et moi il y avait un obstacle, une scission de famille, je ne sais quoi. Je le devine, et je veux vous dire ceci : j’adore toujours le souvenir qui me reste de ma mère. Mais je voudrais aimer autre chose qu’un souvenir, et me chauffer à un autre foyer qu’aux réminiscences de celui dont les bûches flambaient devant moi à cinq