Page:Yver - La Bergerie.djvu/238

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Frédéric songeait tout haut :

« Sous aucun prétexte maintenant je ne saurais retourner à Paris, et pourtant j’avais promis. »

Le silence reprit entre eux. Une lourde équivoque les oppressait. À la minute qu’ils allaient atteindre la Bergerie, il dit :

« Je vous reconnaissais à peine, Camille ; vous avez changé.

— J’ai grandi. Je suis devenue vieille. J’ai dix-sept ans aujourd’hui. Et puis j’ai été un peu malade ; j’ai, paraît-il, trop travaillé, le docteur l’a dit : c’est du surmenage intellectuel. »

Elle parlait sans savoir que Frédéric comprenait son amertume secrète à prononcer ces mots devant l’Ingrat. Elle s’était surmenée, épuisée pour lui, elle s’était tuée afin de gagner personnellement sa vie de petite fille pauvre, et de n’être plus comptée dans l’héritage qu’elle lui voulait à lui tout seul. Et la voyant malade sans doute, la bonne tante lui avait un jour révélé le secret : « Vous vous épouserez, mes enfants. Pourquoi se forger d’inutiles inquiétudes ! Vous serez unis dans la possession de tout le domaine, sans héritage ni complication judiciaire. » Et aussitôt, docilement, naturellement, comme une petite étoile donne sa lumière, elle s’était donnée en pensée à celui auquel on la vouait dès seize