Page:Yver - La Bergerie.djvu/24

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secouaient les pans de sa capote. Il rencontra des camarades de sa compagnie ; on les vit s’éloigner, se perdre dans les rues ; à neuf heures ils rentrèrent au quartier.

Au bout de quarante-huit heures, Aubépine fut pris du malaise de l’attente. On le voyait épier le vaguemestre derrière les vitres de la chambrée, comme une jeune fille qui a un fiancé guette le facteur sous le rideau de la fenêtre. On remarqua qu’il s’enfermait dans un de ces accès de silence dont il était coutumier. Certains de ses camarades, plus affinés et plus observateurs, eurent quelques soupçons. Mais nul ne devina, dans la personne qui négligeait de répondre à ses avances, une marquise de soixante ans, pas plus qu’on n’imaginait, planant au-dessus de ses songeries, la vieille et pâle figure qu’il voyait sans cesse, fine et frêle dans des papillotes blanches, des lunettes d’argent penchées sur une lettre qu’elle lisait toujours.

L’acuité de l’attente devenait douloureuse. Huit jours passèrent, Mlle d’Aubépine ne répondait pas. Frédéric sentit quelque chose de mauvais croître en lui. La jolie vieille qu’il voyait dans son rêve se métamorphosa insensiblement en quelque fée Carabosse de méchant visage, qu’il se mit à détester. Il la détesta moins pour son refus blessant de répondre à une telle lettre, que pour le fait même