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Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/41

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Il avait d’ailleurs changé. Un être humain ne subit pas impavide l’enthousiasme de la marche en avant, la furie des combats, les frôlements incessants de la mort qui passe, la passion exaspérée de vaincre à tout prix. Un charme raphaélesque de jeunesse s’était éteint en son visage. Ses cheveux s’étaient épaissis en boucles noires plus profondes. Ses sourcils accrus virilisaient un regard qui avait connu le tête-à-tête avec le Prussien. Sur la prière d’Annie, il taillait maintenant une barbe envahissante. « Chéri, lui disait-elle, vous ressemblez à un sapeur du génie ! » Sisley avec sa subtilité anglaise lui demandait : « Vieil Arbrissel, qu’allez-vous peindre désormais sous l’effet de cette puissance qui est survenue dans votre vision comme une maturité hâtive ? » Et Hyacinthe répondait : « Je suis obsédé par le rouge. Je voudrais créer une symphonie en rouge. Ne voyez-vous pas, Sisley, tout ce qu’on peut faire chanter, crier, hurler au rouge en le jetant sur un fond vert émeraude ? » Et Sisley savait fort bien à quelles images vivantes se rattachait dans la mémoire du combattant d’hier cette conflagration de couleurs complémentaires qu’il n’est qu’un peintre pour ressentir avec cette intensité. En définitive il ne peignit pas un tableau de bataille, ni de mares de sang étalées sur une herbe jeune, mais il entreprit en 1872 une étude intitulée : La Boutique du marchand de tapis algérien, sans le moindre souci traditionnel, sans personnage, car de cette échoppe le marchand même se trouvait absent. Un seul objectif : le rouge qui dominait, qui sous la forme d’un tissu de haute laine souple et chargé