Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/85

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

En bas, dans sa chambre, l’enfant tomba à genoux devant son crucifix. La tristesse de la vie lui paraissait comme un océan où les pauvres hommes perpétuellement naufragés luttent sans répit pour vaincre tout ce qui les menace ou les assaille. Car au rebours de ce que l’on croit, ce sont les premières rencontres de l’adolescence avec la douleur qui sont les plus impitoyables, celles où elle se montre le plus féroce et le moins supportable. Plus tard, on sait mieux la prendre. Au besoin s’en accommoder. Parfois en faire profit. Pierre Arbrissel n’avait pas dix-huit ans, et la vie lui apparaissait redoutable ; mais Dieu, de par son essence, la consolation immense, universelle. Et comme il était ainsi prostré, un souvenir, une image, qu’on ne pouvait expliquer pourquoi il trouva ravissante, se forma dans sa mémoire :

C’était un coin de cloître, au collège : l’angle droit où se réunissaient, dans l’une des plus impressionnantes rencontres architecturales, les deux lignes en feston des arceaux. Un jour, en se rendant à l’étude, il avait vu un très jeune frère dans sa robe couleur d’ivoire et revêtu du lourd et noir manteau dominicain glisser le long du cloître, et sa marche épouser l’angle de cette encoignure. Voici qu’il ne se rappelait plus quand ni à quelle saison cela avait été ; si le jardin intérieur portait son parterre de roses ou simplement ses fusains taillés à la française. Jamais il n’avait revu le novice. Mais parfois, à l’improviste, dans sa mémoire le tableau réapparaissait et il en éprouvait une suavité spirituelle délicieuse. Tout son mysticisme breton le ressaisis-