Page:Yver - Le Fils d Ugolin.djvu/90

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vous. Sans vous, je suis comme un enfant perdu sur nos grèves désertes du Finistère qui sont de petits Saharas mouillés et infinis. Sans vous je suis épouvantablement seul ! — Malgré votre fils ? » Il hésitait… Puis fermant les yeux comme pour se recueillir : « Malgré mon fils ! »

En cette fin de juillet, avant le départ pour la Bretagne, il y eut à la villa de l’avenue de Madrid un dîner passablement cérémonieux sous prétexte de fêter le succès de Pierre. M. de la Lande-Posay y fut convié avec sa femme. C’était un petit homme court, replet, gourmet, content de tout — la table mise à part. — Et, en dépit de ce physique, racé depuis le fin sourire de ses yeux plissés jusqu’au moindre geste de sa main ronde, impeccablement faite. Une sorte de mercier gentilhomme. L’esprit fou de sa femme sans cesse sous pression semblait le ravir. On contait de lui que, parlant d’elle, il disait bonnement : « De quoi pourrait-on se plaindre d’avoir épousé une merveille d’humour, une source intarissable de pétulance, un jaillissement d’esprit de l’esprit le plus « spirituel » de Paris ? » Quand elle parlait à table, ce qui ne cessait guère, il affectait de manger avec une certaine goinfrerie qui était de parade. Mais chaque fois qu’ici, ce soir, le maître de maison levait les yeux, il trouvait d’autres yeux arrêtés sur lui-même ; c’étaient ceux de ce petit mercier de province si parfaitement illisible. Seule à cette table, autour de laquelle circulaient de si profondes arrière-pensées, la douce Mme Arbrissel, toute à son métier de recevoir, demeurait sereine : maîtresse de maison attentive, l’œil au service, l’oreille aux