Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/170

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souplesse corporelle, ses vivacités prime-sautières et jouissant de la stupeur qu’il préparait à la cour, il vint jusqu’à madame de Bénouville, pencha vers elle sa haute taille, lui murmura quelques mots à l’oreille. La vieille gouvernante protestait, son visage, trop grand pour sa taille menue, s’agitait sous les dentelles du chapeau. Elle riait et s’indignait tout à la fois Mais presque de force, Wolfran l’enlaçait et l’entraînait. Il fit un signe pour qu’on lui apportât des patins. Un moment plus tard, les deux silhouettes disparates fuyaient ensemble sur la plaine irréelle, le souverain tout blanc dans son poétique uniforme de guerrier du Nord, la petite vieille dame toute noire et tremblante qu’il soutenait en s’inclinant. Alentour les sapins majestueux drapés de neige laissaient traîner jusqu’au sol leur robe riche. Puis les taillis brodés de givre se faisaient plus légers, plus vaporeux ; vers le fond, ils se perdaient en une buée grisâtre où marquaient seuls les conifères au dessin brutal. À ce moment la musique du régiment de la garde, cette phalange merveilleuse, célèbre dans toutes les capitales d’Europe, entama, au fond d’un bosquet dépouillé, les premières mesures langoureuses et charmantes de l’air national lithuanien.

C’était une sorte de cantique suave et berceur, auquel les modulations du cuivre communiquaient une force angoissante. Ces douces harmonies glissaient au ras de la glace polie, se diluaient.