Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/224

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— Il n’avait qu’un geste à faire, continuait Clara, un geste d’amour, de fraternité humaine ; on l’eût acclamé. Le peuple est bon. Lui n’a pas voulu. Oh ! pourquoi ? pourquoi ?

Pourtant, il leur sembla que la fusillade s’éteignait ; elles firent un effort et se traînèrent à la vitre. La place se dégageait en effet ; les manifestants fuyaient par la rue du Beffroi. Ils défilaient en silence devant le palais stupides, effrayés, ils considéraient une quinzaine de cadavres, autant d’agonisants à leur dernier soubresaut, qui demeuraient là, les membres étalés sur le sol, On voyait deux ou trois gamins morts et une jeune femme blonde dont le sarrau de tisseuse portait au flanc une énorme étoile sanglante. Et ils passaient entraînés dans le mouvement tournant, harassés, et ne comprenant pas. Clara reconnut le vieil Heinsius dont la haute taille et les bras levés dominaient la foule. Le vent éparpillait les flammes blanches de sa barbe légère. À la manière des vieillards, il devait rappeler que tout ce qui était accompli, il l’avait prévu. Sur le pont, d’autres tisseurs cheminaient encore, en route pour le palais, ignorant tout. Mais ils ne devaient pas même franchir le fleuve. Un second escadron de cavalerie survint par le quai, coupa la colonne en deux tronçons, repoussa les nouveaux venus, dispersa ceux qui demeuraient sur l’avenue. Le soleil était déjà haut dans le ciel. On apercevait là-bas le scintillement des baïonnettes.