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Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/23

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mot, puis elle releva les yeux sur mademoiselle Hersberg, de grands yeux avides, dévorateurs, d’enfant malade. Alors son père se leva et directement, par-dessus la table d’expérience, remit aux mains de la chimiste le très précieux élément. Elle le remercia d’un sourire sans interrompre la phrase commencée. Elle annonçait, en effet, à ce moment que devant l’auditoire elle allait renouveler l’expérience, mais cette fois en accélérant la production du précipité vert par un courant électrique. L’aide proposa les éléments de Bunsen, mais elle demanda une petite pile de Nobili, et, dans un silence absolu, procéda aux successives manipulations.

On voyait sa grande silhouette noire se déplacer en lents mouvements. Elle avait de très belles mains qui se jouaient parmi la série des fioles, qui empaumaient fortement la panse brûlante des creusets, qui dirigeaient avec délicatesse les fils légers du courant. Ses paroles se faisaient de plus en plus rares : c’étaient maintenant des mots brefs d’explication qui permettaient à l’auditoire de suivre les métamorphoses du sel de bismuth. Puis elle se tut définitivement, et debout devant l’appareil compliqué d’électrolyse, les doigts à la table, la taille infléchie vers la cornue centrale, blême, nerveuse, tremblante, elle attendait le phénomène. Toute sa féminité, en dépit de sa science, apparaissait dans cette émotion. On ne voyait plus d’elle que son épaisse chevelure noire