Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/328

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Un soir, une fine faucille de lune s’éleva dans un ciel d’une pureté cristalline par-dessus la cime d’un cèdre noir. L’archiduchesse, secouant sa robe de toile unie, quitta la table et alla s’accouder aux balustres de la terrasse d’où l’on voyait le feuillage obscur s’argenter en frissonnant Clara, sur un signe, vint près d’elle. Sous le front autoritaire de la jeune fille, les yeux se creusaient ce soir tragiquement ; ils étaient défiants, ombrageux et durs. Elle dit à Clara :

— J’ai un caprice. Je veux faire une promenade au clair de la lune avec vous.

Clara se souvint d’avoir vu ces yeux et d’avoir entendu cette voix. C’était le matin où Wanda s’était arrachée pour toujours au bras du pauvre prince de Hansen. Une exaltation inconnue portait la savante à une tendre pitié : elle reprit affectueusement :

— Chère Altesse, tout ce que vous voudrez.

— Oui, dit encore Wanda impérieusement ; mais nous ne serons pas seules.

Et elle appela :

— Bertie…

On tressaillit, car c’était la première fois qu’elle nommait ainsi familièrement le duc. Celui-ci se leva :

— Bertie, lui dit-elle, venez ; je veux que nous fassions tous trois une promenade poétique.

Le ton amer et singulier de cette phrase parut cingler le prince d’Irlande. Une crispation passa