Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/361

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— Ah ! dit-il accablé, on m’a pris ma Clara !

Clara, elle, songeait, dans une sorte de rêve : « Pourquoi souffre-t-il ainsi ? Ce qu’il dit est donc vrai ? Qu’est-ce donc qu’aimer ? tant de douceur secrète, c’était de l’amour ? »

Elle se sentait ineffablement heureuse. Tout à coup elle entrevit la douleur d’Ismaël. Il était allé s’accouder au montant du lit de fer, le front dans la main. Une respiration haletante soulevait son torse maigre. Elle alla vers lui, pleine de pitié. Elle lui toucha l’épaule. Il tressaillit, et elle l’entendit se plaindre ainsi :

— Je n’avais rien au monde que toi, et c’est toi qu’on est venu me prendre. Tous les biens, tous les plaisirs, toutes les satisfactions, il en était gorgé ; et il lui a fallu encore mon seul bonheur.

— Mon ami, tu parles dans la démence !

— Je suis lucide. Il a pris ton esprit, d’abord. Qu’as-tu fait pour l’Union, depuis que tu es au palais ? Nous as-tu servis, nous as-tu défendus ainsi que tu l’avais promis ? Une femme comme toi subjugue quand elle parle. Si tu l’avais voulu, nous triompherions aujourd’hui. Mais ton intelligence a fléchi sous les lieux communs de cet homme borné. Il t’a circonvenue de phrases creuses il était beau, il reluisait d’or, il voulait te plaire. Et tu en es venue là, toi, la grande, la libre Hersberg, à accepter pour le pays la domination de cet homme, à subir son joug.

Elle contemplait maintenant un Kosor farouche,