Page:Yver - Le Metier du roi.djvu/83

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sociale ; c’est la destinée qui t’a dit de me mener là, à ce moment donné. J’ai conçu d’une façon très spéciale en même temps l’énormité de l’œuvre et son urgence. Oui, s’attaquer à la société cela paraît impossible ; cependant il le faut. Seulement, avec nos idées que nous opposons à la terrible machine sociale, nous ressemblons un peu sottement à des enfants qui souffleraient sur une locomotive lancée à toute vitesse, pour l’arrêter. Voilà ce que nous avons fait jusqu’ici. Désormais c’est l’action qui s’impose. Il s’agit de se ruer aux chaudières en pleine course et de renverser la vapeur. Celui qui aura fait cela aiguillera ensuite à son gré la marche. Le moment est arrivé, je le vois, je le sens avec une lucidité excessive. Le sang coulera peut-être. Rien ne doit nous arrêter. Pour un temps encore je renonce à toi, Clara, ma lumière. Si j’ai le droit de renoncer au bonheur et d’offrir ma triste vie pour les frères, je n’ai pas celui d’exposer la tienne. Ce qui va se passer, je l’ignore, mais j’affirme que ce sera terrible et sanglant, et que beaucoup lutteront qui ne verront pas le triomphe. Sois au moins en sécurité, et que la torture de te savoir menacée n’entrave point la liberté de mes coups.

— Comment, reprocha-t-elle, doucement mais indignée, tu m’écartes comme un obstacle aux heures de péril ? Tu voudrais qu’à l’heure du danger je fuie !