Page:Yver - Les Cervelines.djvu/106

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mandait de pluie, il avait soif de la tendresse de Jeanne, depuis cette nuit blanche où ils avaient ensemble cheminé dans la ville.

Comme jamais, ce jour-là, elle avait été bonne et charmante. Tout enfiévrée encore du triomphe de Marceline, elle ne parlait que de cela, elle s’oubliait pour son amie, elle jouissait à sa place, elle donnait l’illusion d’une femme affectueuse, d’un cœur. C’était cet aspect nouveau qui achevait de la perfectionner aux yeux de Tisserel ; elle se féminisait tout à fait, elle était presque touchante. Paul, à partir de cette minute, sentit se greffer sur cette espèce de goût violent qui était pour elle en lui, l’amour dont on chérit sa fiancée. La pensée qu’il l’amènerait un jour dans la maison du boulevard Gambetta, qu’il l’entourerait de soins, la cajolant, comme une grande enfant, créant à sa jeunesse isolée une vie de douceurs, lui donnait des rêves qui le tenaient longtemps le soir, à l’heure du cigare, sous les marronniers du jardin. Il en était venu, le joyeux buveur de bocks du grand café de Briois, à supposer la place qu’elle prendrait sur le banc de la tonnelle, enroulée d’un long peignoir à dentelles de jeune épousée, près de lui qui l’enlacerait ; et il goûtait à ce mirage des émotions qui lui faisaient souhaiter de ne pas sortir des soirées entières.

Alors le lendemain, il arrivait à l’hôpital exalté et malheureux. Quand il ouvrait la porte de la salle, indifférent aux pauvres têtes émaciées dans le linge blanc de leur bonnet qui s’agitaient à chaque lit, inattentif à la sœur du service, une vieille qui lui faisait des salamalecs : « Monsieur le docteur, nous avons un décès, cette nuit, à