Page:Yver - Les Cervelines.djvu/108

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aux râles caverneux, une petite bonne de dix-huit ans, une jeune mère que le mari, un maçon, venait voir tous les jours ; une autre, veuve, qui laissait quatre enfants. Toutes ces atrocités vinrent heurter, sans l’émouvoir, son féroce égoïsme d’amour. Même la pointe d’émotion qu’il avait autrefois devant la mort des jeunes s’émoussa. Il n’eut plus pitié. Il les soignait, et quand elles n’étaient plus, signait le constat de décès, simplement, sans rien ressentir. Et il n’était même pas assez analyste de soi pour s’apercevoir que l’amour ne rend pas bon. Jeanne Bœrk était trop pour lui ; elle alimentait trop souvent de sa proximité parfumée sa fièvre d’amoureux, elle introduisait dans cet homme normal et honnête une démence.

Ce qui était surtout à peine avouable, c’est qu’il ne s’affligeait pas outre mesure du début de maladie découvert chez sa sœur. Quand, sur le conseil de Cécile, il l’avait auscultée et que la terrifiante lésion pulmonaire lui était apparue, il avait eu le plus violent chagrin. La crainte de ne pas sauver Henriette, le sentiment de son impuissance le torturèrent ; et il se demandait : « Pourquoi elle, et non pas une autre, une inconnue ? Pourquoi cette belle jeunesse marquée pour être flétrie, tandis que tant d’autres vont s’épanouir ? » Et sa propre existence lui semblait empoisonnée jusqu’au terme par ce malheur : perdre Henriette.

Puis des jours passèrent, et l’image de Jeanne entrait en lui si impérieusement qu’il se distrayait. Il pensa que sa sœur pouvait guérir, que cette douleur était impossible ; il y pensa… ou