Page:Yver - Les Cervelines.djvu/147

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avec son amie. La causerie allait devenir alerte et piquante. Jean Cécile se retira.

« Je suis fou, se disait-il en route, comme il gravissait la rue du Bois-Thorel, en chemin vers une de ses cancéreuses, je suis fou de m’être lancé dans l’intimité de cette femme-là. D’abord à quoi ressemblait ma visite de ce matin ? Qu’y suis-je allé faire ? C’est la faute de cette grande niaise de Jeanne Bœrk ; quand on la retire de sa médecine, cette créature-là, il n’y a plus rien. J’ai été ridicule de la suivre chez son amie. Ces choses-là ne se font pas. Et le plus bête de tout, c’est que j’ai eu l’air ému en entrant, je l’ai senti ; je ressemblais à un homme qui perd un peu la tête. Il n’y a pas à dire, cette Rhonans est exquise. »

Il fit sa visite. La vieille dame malade lui prit les mains et les étreignit si fort, en regardant affectueusement son jeune médecin, qu’il se devina l’objet de son adoration et en demeura tout attendri. Il déroula des bandes de toile purulentes, découvrit à la place de la gorge ruinée des choses sans nom, effleura de ses doigts aseptisés cette sanguinolence qu’il enveloppa délicatement d’ouates blanches, de mousselines fraîches, exhalant l’iodoforme ; et quand il partit, lui laissant en son pauvre corps un air propre et soigné, il vit le visage terreux, dans la blancheur de l’oreiller que salissaient seulement quelques mèches grises, le suivre des yeux tendrement, jusqu’à la porte. Et il se sentit quelque orgueil à cette éternelle royauté du médecin sur les âmes.

C’était ici le point de la ville le plus élevé, d’où l’on découvrait tout Briois ; la multitude de ses toits d’ardoises étagés en pente douce, avec, en