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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/146

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— Comment faites-vous pour croire ? dit Jean avec tristesse.

— Je ne sais pas ; on parle difficilement de cela. Il y a là des choses qui n’ont pas de terme pour être exprimées. J’ai passé plusieurs années fort incrédule, et la religion m’a reprise. Si je pouvais vous dire ce qui est venu en moi, c’est que je vous le pourrais transmettre ; nous ne connaissons qu’un mot qui le signifie, mais il vous est fermé, et les cœurs seuls qui en ont senti la fécondité et la force le peuvent entendre. C’est la grâce.

Jeanne Bœrk se mit à rire, mais non pas Jean. Ce n’est pas que la conviction de Marceline l’atteignit nullement, mais il aimait la religion chez les femmes, et il lisait dans les yeux de celle-ci, quand elle parlait de foi, une grande sincérité, et quelque chose d’auguste que les piétés féminines, d’ordinaire, ne lui avaient pas fait concevoir.

— La grâce… répéta-t-il ; je voudrais que cela fût suffisant pour m’expliquer…

— N’attendez pas une explication, il n’y en a pas. C’est du domaine à côté de votre vie intellectuelle normale. On ne traduit pas l’un dans l’autre.

— Vous m’amusez, avec votre argumentation plutôt naïve de la grâce, se mit à dire Jeanne.

Cécile, rien qu’à ce mot, comprit entre les deux amies une effroyable distance d’âmes ; elles étaient, l’une et l’autre, à des plans totalement inégaux de pensée, et il eut quelque plaisir à se sentir, quoique irréligieux, beaucoup plus près de Mlle Rhonans que de l’étudiante.

Délicatement, Marceline déplaça la conversation ; elle n’aimait pas ces dissidences d’idées