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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/160

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Captal d’Ouglas se releva, sa face enfantine congestionnée et suffoquée. Il ajusta son lorgnon, et montrant de très près l’oreille petite à l’excès de Jeanne, il dit ;

— Impossible, il était trop gros !

Mlle Bœrk prit à deux doigts son verre plein d’eau et y but quelques gorgées imperturbablement. Toute la table à son tour leva vers elle son verre. On criait : « Bravo d’Ouglas ! » Il y avait de tous ces garçons à elle une haine, une jalousie exaspérée d’homme à femme, que rien ne désarmait ; ils étaient envieux d’elle, de son intelligence, de sa science, de son travail. Ils étaient dépités de cette beauté de femme perpétuellement offerte et en même temps fuyant toujours, inutile, et mystérieusement virilisée. Ils sentaient en elle une équivoque, ayant tous commencé par être amoureux d’elle, pour n’avoir ensuite rencontré sous cette forme corporelle, grisante, que sa mentalité dure. C’étaient — ces petits hommes paresseux, galants âpres à leur métier — autant d’ennemis dont elle avait à se garder toujours. On aurait cru voir une meute de jeunes chiens furieux défendant une pièce de viande contre l’adresse sournoise d’une chatte ayant fourvoyé sa grâce dans leur clan hargneux et vorace.

Tisserel en souffrait pour son amie. Cette arrogance masculine d’adolescents envers la sereine créature qui les dominait de si haut le révoltait. Mais il n’y pouvait que de s’irriter en silence, en l’entourant de plus d’admiration amoureuse.

— Ils doivent vous excéder ? lui demanda-t-il tout bas, presque tendrement.