Page:Yver - Les Cervelines.djvu/261

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sonne telle. Il ne soupçonnait pas ce qui l’attendait là.

Ses parents possédaient le grand magasin de chaussures qui fait à Briois, de ses hautes glaces à biseaux de miroir, l’angle de la rue Jeanne-d’Arc et du quai. Il y vint ce soir de janvier ; le jour traînait un peu, une fois le soleil couché, dans l’espace large et dégagé de la coulée du fleuve ; c’était un crépuscule teinté de brume bleuâtre qui éclairait encore faiblement l’intérieur du magasin. Comme des bibelots fins, les bottines, la forme noire cambrée des souliers, le brillant des empeignes glacées se miraient dans le cristal des étagères aux étalages ; sur le parquet ciré, glissaient les vendeuses pimpantes et jolies qui lui sourirent à son entrée. Au comptoir du fond, sa mère chiffrait dans un gros registre.

C’était d’elle qu’il tenait sa membrure délicate, sa chevelure sombre et ses yeux de couleur tendre. Elle avait plus de cinquante ans, et dans son visage un peu maladif et fané, où le bistre de Jean s’accusait en olivâtre, ses yeux beaux et distingués brillaient, jeunes toujours. Il lui fit lever la tête en disant :

— Bonjour maman !

— Ah ! Jean fit-elle tranquillement, c’est toi.

Mais au rayon qui passa dans ses yeux en l’apercevant, on pouvait deviner que ce fils unique résumait pour elle la vie avec ses tourments et ses joies.

— Montons, veux-tu ? ajouta-t-elle, si tu as le temps !

Elle savait qu’il venait souvent à la hâte entre deux visites, les mains fleurant l’iodoforme, l’es-