Page:Yver - Les Cervelines.djvu/301

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froid glacial. Jeanne était pour elle maintenant cette femme infrangible et supérieure que rien ne saurait vaincre. Mais elle ne pouvait l’admirer, son amitié pour elle était même diminuée. Elle avait jugé l’étudiante comme Cécile l’avait jugée lui-même. D’un autre côté, elle avait peur des théories de Jeanne, qui allaient peut-être ravager le secret très cher dormant en elle. Elle la condamnait, mais Jeanne la condamnerait aussi. Il y avait désormais un abîme entre elles.

Elle n’avait pas changé, la Cerveline magnifique. Elle semblait presque avoir gagné plus de majesté, plus de sérénité ; elle paraissait se posséder plus que jamais dans sa gaîté calme, dans sa démarche lente, à peine virile. Elle avait aux lèvres ce sourire que lui donnaient sans effort, continuellement, sa douceur naturelle et une sorte de bénignité spéciale aux personnes de science.

Marceline sentit son cœur se contracter comme pour mieux ramasser en soi ce qu’il recélait, et elle pensa : « Je lui cacherai tout. »

— Eh bien que se passe-t-il ici ? fit Jeanne Bœrk avec un grand geste quand elle approcha ; voilà une éternité que je ne vous ai vue ; le temps m’a duré.

— Je vous attendais, Jeanne.

— Ma chère, c’était à vous de venir. Moi aussi je vous ai attendue ; puis je m’ennuyais trop de ne pas vous voir arriver ; alors ce matin, la visite étant finie de bonne heure, je me suis mise en route.

Marceline l’avait introduite dans sa petite maison qu’elles avaient gagnée en se rejoignant : elle sentait sa main, dans celles de Jeanne gantées de