Page:Yver - Les Cervelines.djvu/300

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regrette pas d’avoir sacrifié pour ce rêve ma belle vie heureuse, lumineuse et féconde ?

Désormais, le problème était posé devant elle. Sa lucidité, un moment endormie en ses premières délices d’aimer qui lui étaient si inconnues, si nouvelles, se ressaisissait à temps. Il ne serait pas dit que cette créature de volonté et de sagesse se serait laissé mener aveuglément par un entraînement comme la première venue. Si maintenant elle y cédait, ce serait en toute clairvoyance, et d’une manière digne d’elle.

La solution première s’énonçait ainsi : « Je puis, consciente de ce qui m’attend dans l’avenir, me donner quand même à cet ami pour lui assurer actuellement le bonheur qu’il souhaite, et plus tard, ce bonheur moindre, mais indiscutable, qu’un homme doit toujours recevoir d’une créature qui lui est totalement dévouée, en dehors de toute passion. »

Et elle s’endormit heureuse, bercée du plus pur, du plus admirable amour, croyant la question tranchée.

Le lendemain, après le cours du matin au lycée, elle rentrait, pensivement pleine de l’idée unique qui n’était peut-être pas si tranchée qu’elle n’agitât encore en elle bien des doutes et des atermoiements, quand une silhouette de femme étrange et connue apparut loin d’elle, sous les platanes du boulevard. La cape blonde claquait au vent de janvier et, sous les bords du canotier de feutre, les frisons blonds s’allongeaient en mèches envolées ; c’était Jeanne Bœrk qui venait la voir.

En la reconnaissant, Marceline fut prise d’un