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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/303

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Marceline évita le regard droit et limpide de son amie. Elle aurait eu honte que Jeanne devinât ce qui se passait en elle ; mais il lui était aussi pénible d’avoir à se cacher de cette âme de cristal qu’était l’étudiante. La duplicité qu’elle se sentait la faisait décroître en sa propre estime. Elle rougit.

— On ne doit jamais dire à la place d’un autre, je ferais ceci ou cela, dit-elle évasivement.

— Au surplus, reprit Jeanne, je ne lui en veux plus de m’avoir forcée à quitter l’Hôtel-Dieu où je commençais à avoir assez de cette éternelle tuberculose ; grâce à lui, j’ai maintenant un service qui m’intéresse dix fois plus : la diphtérie.

— C’est affreux ! dit Marceline en frissonnant.

— Tout est affreux, fit placidement l’interne. Une maladie ou une autre, qu’est-ce que cela fait ! Celle-là est plus amusante, parce qu’on la guérit davantage.

— Cela ne vous fait pas peur pour vous ? Je vais trembler de vous savoir dans ce foyer de contagion, et lequel ! Vous n’avez jamais eu, dites, un sentiment d’épouvante en face de ce mal terrifiant qu’on gagne si vite ?

— Ma foi non, répondit la joviale fille, j’en vois trop. La sœur du service prétend même que je ne suis pas prudente, car ces pauvres mioches ont tous des passions pour moi, et figurez-vous qu’ils veulent tout le temps m’embrasser, ils tendent leurs mains, m’attrapent la joue, et me bisent à n’en plus finir.

Comme toujours, elle riait en racontant cela Marceline ne riait pas ; sa gorge se serrait d’une sorte d’envie de pleurer. Cette fière fille, exempte