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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/309

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vues suaves, les entretiens à demi parlés qui s’étaient passés ici, dans ce petit salon, si mystérieux et poétiques qu’aucun récit n’aurait su les redire, la promenade nocturne d’hier parmi les jardins du Bois Thorel, grave et solennelle comme un rite, tout ce dont le délice l’avait enivrée se décolorait, se désenchantait en elle. Jeanne Bœrk et sa froide sapience ressuscitaient devant elle la Marceline d’autrefois qui pensait et parlait ainsi avant cette aventure de faiblesse, et qui n’était pluş. Elle était en train de sombrer dans un engourdissement. Elle n’avait pas voulu cet amour, elle y avait cédé comme n’importe quelle femme, et ainsi que dans la fable du lion amoureux, on exploitait cet état d’âme diminué et sans vigueur, on exigeait d’elle des renoncements insensés, la destruction de sa personnalité, l’abandon de son existence mentale, l’étouffement de cette progression lumineuse qui avait fait d’elle, jeune femme, un maître. Ah ! si Jeanne Bœrk avait connu l’inavouable marché qu’on lui proposait, quel insolent triomphe pour sa dure théorie de Cerveline ! Comme elle eût exulté !

Un peu pâle seulement, le cœur serré, Marceline muette écoutait maintenant Jeanne s’exaltant sur un autre sujet. Son nouveau service des diphtéritiques offrait une carrière bien plus facile à son tempéramment chercheur que l’invulnérable, l’insaisissable et désespérante tuberculose. Elle racontait combien la trachéotomie, qu’elle avait pratiquée plusieurs fois elle-même, demandait encore de perfectionnements. Elle avait l’idée d’une canule nouvelle, cachant sous le volume de l’ancien modèle un système pour l’aération des