Page:Yver - Les Cervelines.djvu/336

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êtes, continuait-elle, l’être que j’ai laissé le plus près approcher mon âme ; je ne vous cacherai rien encore maintenant. J’ai peut-être été coupable envers vous, mais je n’ai jamais été déloyale ; je fus sincère en me promettant à vous ; je le serai encore en me reprenant. Je vous dirai tout, aussi franchement, aussi strictement que possible ; considérez cette lettre comme le meilleur que je puisse vous donner de moi-même. À cause d’elle, je vous supplie de ne pas voir en moi une ennemie, comme monsieur Tisserel considère Jeanne Bœrk qui ne l’a jamais aimé.

« Vous avez vu, Jean, ce qui s’est passé dans mon cœur pour vous. Je n’aurai ni coquetterie, ni pruderie à vous le rappeler, et d’ailleurs, je veux que, sans ambiguïté, vous connaissiez simplement l’histoire de tout. Vous êtes le premier à m’avoir appris ce sentiment que, par instinct, je réprouvais. Vous savez comment je jugeais le cas de Jeanne Bork que j’avais tranché de sang-froid. Ce cas s’est présenté un jour à mon profit, et ma critique sur la comédie des autres s’est tue quand ce fut mon tour de jouer cette même comédie. Que ce mot de comédie ne vous froisse ni ne vous trouble ; nous nous sommes aimés très véritablement, mon ami, mais il y a toujours une grande illusion dans ce mot. On l’expérimente d’ordinaire après longtemps ; ma nature assouplie à la logique professionnelle, et rendue clairvoyante et prévoyante presque par métier, m’a plus tôt qu’une autre avertie de chercher sous l’illusion de nos tendresses l’inexorable vrai. Je me suis interrogée sans pitié, j’ai sondé la voie où nous marchions.