Page:Yver - Les Cervelines.djvu/46

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d’écrire, des harmonies suggestives de la phrase et de toute rhétorique, il écrivit la lettre suivante qui était son va-tout, qui, par sa hardiesse, pouvait lui faire perdre irrévocablement son amie, ou la lui gagner ; qu’un rustre aurait pu signer, ou un fou, ou un génie, parce que c’était un cri de vérité et de passion.

« Madame,

« Vous allez probablement en rire : je vous aime ; c’est depuis que je vous ai vue, depuis la première fois. Je ne suis pas un lettre comme vous, comme vos amis ; j’abhorre les formules dont ils se seraient servis, dont plusieurs se sont servis sans doute pour vous dire cela ; je ne suis ni un artiste, ni un rêveur, ni un poète comme vous vouliez absolument que je le fusse. Vous m’avez parlé tantôt d’un mot qui me déplaît, l’état d’âme ; je n’ai pas d’état d’âme, je vous adore ; je ne peux plus vivre aussi loin de vous, voilà l’état de mon ame. Vous m’avez pris pour quelqu’un que je ne suis pas ; je n’aime pas la littérature, pas les romans, pas les vers, pas même ce que vous écrivez et qui souvent n’est pas vous, pas votre sensibilité vraie, pas la forme même de votre âme qui m’est chère. Je n’aime que votre sourire qui est bien vous, les actes de votre charité qui sont encore vous vraie, et vous-même. Mon affection est à un paroxysme que vous ne pouvez mesurer ; je veux cesser de vous voir, ou cesser de vous voir en indifférent ; j’aimerais mieux m’en aller, quitter de suite Paris si vous me repoussiez. Je ne suis pas grand’chose à vos yeux, sur-