Page:Yver - Les Cervelines.djvu/45

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il ne la comprenait qu’à demi ; leur intimité était fondée sur une illusion ; elle ne voyait en lui qu’un homme d’esprit ; lui, en elle, qu’une femme, et leurs respectives tendances se complaisaient à ce mirage, qui était justement l’envers de la réalité.

Il se sentait devenir plus morose, plus triste en tout son être ; au lieu de le plaindre, de s’enquérir de ce qui le rongeait, elle semblait prendre plaisir à considérer sa mystérieuse détresse. Plus d’une fois, il la surprit souriante, complaisante à sa vue d’homme morne. Il est en effet des femmes à qui rien n’est savoureux comme une secrète douleur masculine. Elle lui prêta le vague ennui des gens de doute et d’inquiétude ; cet état d’âme lui plut beaucoup plus que tout, et elle lui demanda d’entendre des pages qu’elle avait écrites précisément dans une disposition d’esprit semblable, sur le poids de la vie et les incertaines souffrances.

Cet acte de rien éclaira Cécile. Il l’illumina. Il comprit quel homme artificiel, créé par son imagination d’écrivassière, il demeurait pour elle, alors qu’il était simplement un fort et viril amoureux. Ils avaient inconsciemment joué une comédie dont le dénouement était qu’elle lui échappait, qu’ils tendaient mutuellement aux ombres de ce qu’ils étaient l’un et l’autre, qu’il ne l’atteindrait jamais.

Je la veux, pourtant ! murmura-t-il en redescendant l’escalier, dans le tremblement de sa colère, la première colère qu’il eût eue contre cette douce et innocente femme.

Et, en rentrant, il lui écrivit. Ignorant de l’art