Page:Yver - Les Cervelines.djvu/48

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Le coup de massue l’atterra sans lui arracher un mot de revendication. Seul, il avait pu écrire cette lettre violente où, pour une fois, s’était exhalée vraiment son âme. Maintenant, devant cette dominatrice de sa vie, il redevenait troublé et muet. Il lui parut soumis.

— Mon intimité, expliqua-t-elle sans phrase et sans prétention, mon intimité a été le gage de la confiance que j’avais en vous. Je vous ai laissé comprendre sur quel ton devait vibrer la note de notre amitié. Je ne suis pas une femme, moi, monsieur Cécile, je suis Pierre Fifre. Si mes amis me faisaient la cour, je cesserais d’être la maîtresse de maison… estimable, pour laquelle j’ai pu passer jusqu’aujourd’hui, il me semble.

Cécile fit un effort inouï, chercha ses mots, et mit à jour, lentement, cette pensée :

— Mais si parmi eux… l’un d’eux, au lieu de vous faire la cour, madame, vous apportait un amour héroïque, quelque chose qui soit capable d’éclipser tout, et même de grandir jusqu’à vous cet ami obscur, ne vous semble-t-il pas que… votre vie changerait… que vous pourriez orienter vers lui seul vos vues, votre âme, et vous contenter de lui ?

Les yeux d’Eugénie Lebrun, ses yeux clairs, d’un bleu léger, s’emplirent de larmes. Ici l’extrême bonté de son cœur était atteinte ; elle sentit qu’elle affectionnait vraiment ce jeune homme, et voulut ne le repousser qu’avec douceur.

— L’amitié que je vous offre, que je vous donne, est bien plus que l’amour, fit-elle gravement.

Il comprit que c’était un principe de son existence qui tombait là de ses lèvres, et que la chose