Page:Yver - Les Cervelines.djvu/49

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terrible, orageuse et grondante comme le feu qu’il sentait en lui ne pouvait atteindre cette tranquille et paisible créature de pensée.

— Car enfin, reprit-elle au bout d’une minute en hochant la tête, l’amour…

Son calme le désespérait. Il devenait lucide, il concevait tout à coup sa vraie nature, résorbée dans l’impassibilité de l’observation. À force de se jouer avec les drames, les cas, les misères de la passion humaine, la romancière avait contracté cette sereine philosophie de les voir comme des agitations inutiles, sans gravité, des illusions.

L’heure du repas interrompit pour un moment la lutte aiguë où ces deux êtres se disputaient silencieusement la maîtrise l’un de l’autre. Ce fut un dîner triste ; Cécile ne desserrait pas les lèvres. Son amie s’affligeait aussi de son chagrin, mais superficiellement, comme une mère s’attendrit avec un sourire indulgent aux déceptions puériles de son enfant. Elle semblait dire, avec toute sa manière d’être : « Vous souffrez à cause de moi, mais cela passera. » Cette nuance n’échappa pas & Cécile qui s’en irrita. Lui aussi avait éprouvé cette impression de scepticisme devant l’amour des autres ; souvent il s’était dit, raillant la conviction pieuse qui entraînait certains de ses camarades vers leurs petites amies : « Comme ils se prennent au sérieux ! comme ils s’illusionnent ! » Et plus d’une fois, en effet, le lendemain des plus beaux serments, les amoureux se déliaient l’un de l’autre, à propos d’un verre de champagne, d’un nœud de dentelle, ou d’une pièce de cinq francs qu’on ne donnait pas.

Ce qu’il fallait, c’était lui montrer combien peu