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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/61

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dans l’être, le laissant seulement plus débile, plus endolori. Elle avait eu raison, la cruelle femme, cela n’était pas éternel, cela était un leurre auquel bien avisées celles qui ne se prennent pas ; sa détestable sagesse était la bonne ; six mois n’avaient pas encore passé sur cette immortelle passion, qu’il l’oubliait déjà des heures entières, se souvenant seulement, par ressauts pénibles, de cette femme qui lui avait été refusée…

Et aujourd’hui que tous ces détails se déroulaient en sa mémoire, pendant que ses yeux distraits cherchaient du balcon la rue et ses passants, rien ne s’éveillait plus en lui, ni amour ni haine, contre la créature charmante et bonne qui l’avait rendu malheureux ; mais ce qu’il poursuivait de sa rancune, c’était l’état de choses qui a dénaturé les femmes, qui tend à les changer, qui déplace leurs fonctions de vie, qui les force à produire seules et personnellement ce pain quotidien qu’elles n’acquéraient, jadis, que par le doux marché de l’amour.

À sa propre histoire, il s’était attardé ; quand il revint vers sa pendule, neuf heures étaient sonnées. Il descendit en courant et, pour joindre plus tôt Tisserel, il prit un tramway qui devait le mener près de l’Hôtel-Dieu. Non pas absolument troublé, mais amolli par les réminiscences qu’il avait rappelées, il se laissait emporter, à demi somnolent. Des femmes causaient sur la banquette opposée ; il n’y prit point garde ; il revoyait les choses du salon rue de la Pépinière, un certain coin où une table découpée portait une Tanagra ombragée d’une plante minuscule, gracile et verte, formant palme sur la figurine : tout cela, avec la draperie de