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Page:Yver - Les Cervelines.djvu/60

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un geste vague… Toute une minute, escomptant cette émotion qu’il lui voyait, il attendit un mot d’amour, le mot qu’il voulait, qu’il croyait entendre déjà, qui le rendait fou.

Elle ne le dit pas. Il essaya de parler ; la colère montait en lui, submergeait le chagrin ; il avait le cœur plein de violences mauvaises, mais il ne put les articuler ; il étouffait. Elle le vit se lever avec un soubresaut dans la poitrine, faire vers elle un mouvement, et puis gagner la porte. Il partit en silence. Elle le crut fâché, passagèrement fâché. Il ne revint jamais…

Cette histoire triste continua de planer sur la vie de Cécile, sur son âme déjà morne, comme un brouillard sur un jour de décembre. Il y a, chez les hommes jeunes, une expectative latente d’une époque d’existence meilleure, calmée, rénovée, que réalise en partie le mariage. Cette expectative mourut en lui, laissant après soi un grand vide, l’ennui. Il prépara ses examens de doctorat qui lui valurent un succès, puis il écrivit à son père de lui meubler un appartement, car il arrivait.

Ce lui fut un déchirement double ; il quittait non seulement la femme qu’il aimait, mais la ville qui l’avait, dix années, séduit. Il mit le pied sur le sol de Briois ayant au cœur une irritation sourde contre le sort, contre la vie. Cependant le souvenir de Pierre Fifre déjà s’apaisait en lui ; celle qui l’avait tant de fois désespéré avec son implacable prophétie : « Cela passera, mon ami, » commençait à n’être plus à son imagination qu’une figure lointaine, sans force pour l’enfiévrer. Cela passait en effet, comme une maladie que le corps a vaincue, qui ne fait plus souffrir, qui s’est éteinte