Page:Yver - Les Dames du palais.djvu/195

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

Cinq ou six de ces pauvrettes se succédaient, chaque année, chez l’avocate. L’une, un beau soir, s’éclipsait, entraînée par la nostalgie de la rue. L’autre se donnait de telles indigestions de sucre et de confiture en l’absence de sa maîtresse qu’on devait la renvoyer à la colonie. Une troisième mettait la main sur la bourse : plusieurs centaines de francs disparaissaient ainsi, tous les ans, de la maison au budget déjà si mince. Mais, avec son sublime entêtement d’apôtre, mademoiselle Angély retournait sans découragement à ce qu’elle appelait sa clinique, pour y choisir une nouvelle petite servante. Sa croyance en la régénération de ces enfants vicieuses ne bronchait pas. Les pires désillusions laissaient sa foi intacte.

Elle habitait l’une de ces maisons vétustés et noires, dont la façade légèrement cintrée participe à la courbe de la rue archaïque. Une porte monumentale restait ouverte, toute la journée, pour un commerce de menuiserie établi dans la cour. À chaque étage, cinq immenses fenêtres du xviiie siècle s’alignaient avec leurs persiennes tombantes. Par les deux bouts, la rue tournait. De-ci, de-là, une échoppe à petits carreaux s’allumait dans le crépuscule hâtif de novembre. Le long des murs, un chat fuyait sur la pointe des pattes, craignant la boue du pavé. D’un atelier venait le ronflement d’un tour. À gauche, les maisons se creusaient, à droite elles se renflaient,