Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/13

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dans sa blouse blanche d’artiste, elle lui venait au coude ; il la regardait bénévolement, en lui tenant les deux mains ; puis il dit, de sa grosse voix de Flamand, enrouée par quarante ans de brasseries et de criailleries artistiques :

— Hein ! Fontœuvre, vous permettez que je l’embrasse, votre femme, pour le premier janvier ?

En même temps, il mettait deux baisers sonores sur les joues maigriotes de la jeune femme.

— Mais regardez-la donc, continuait-il, on dirait une petite pensionnaire en sarrau ! Elle paraît vingt ans !

— Oh ! oh ! mon cher maître, et ma grande fille de dix ans, et François, et Marcelle ? Je suis une vieille maman, au contraire, avec mes trois enfants.

Le mari riait en considérant Jenny, « sa chère Jenny », comme il disait toujours, plus épris, racontait-on, de cette courageuse compagne après douze années d’union qu’au premier mois de la lune de miel. C’était un joyeux garçon, méridional, à l’air bourgeois, et qui déclarait lui-même, quand il se voyait devant une glace avec son poil noir épais, son sourire bonhomme, son embonpoint précoce, ses yeux vifs de Toulousain : « J’ai la tête d’un chef de gare. » Il professait le dessin dans trois pensionnats de Neuilly, où son extérieur pacifique plaisait aux dames directrices. Entre temps, il faisait agréablement le paysage, la nature morte, la copie de tableaux, ou le por-