Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/139

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femme légitime, pour ses Baigneuses du dernier Salon.

La charmante Jeanne, qui voyait tous ses hôtes chagrinés par le refus de son mari, se mit à l’excuser. Il ne fallait pas lui en vouloir. Il y avait chez lui, pour toutes les choses touchant son travail, une délicatesse ombrageuse, une véritable pudeur. Il lui fallait se cacher pour peindre. À peine la souffrait-il, elle, près de lui. Quant aux essais qui constituaient son procédé de composition, les exhiber, c’était faire montre de son douloureux enfantement, et il s’y refusait. Oui, lui si franc, si ouvert, qui disait avec tant de simplicité les moindres idées de son cerveau, devait dissimuler son ceuvre jusqu’à l’instant du parachèvement. Et encore lui fallait-il alors des combats avant de se l’arracher de lui-même pour la livrer au public. Chez Vaugon-Denis, lors de son exposition, quand toutes ses toiles s’étaient trouvées sous les yeux des visiteurs, il avait enduré un martyre. C’est que personne ne s’exprimait dans son art comme son cher Nicolas. Laisser voir l’acte de son travail, c’était mettre à nu son âme même. Non, même à l’ami le plus cher il ne donnerait pas ce spectacle, ni celui du lieu où s’accomplissait le labeur. Il n’avait jamais compris qu’un peintre pût recevoir dans son atelier, y introduire non pas seulement des intimes, mais des étrangers, le vulgaire, la foule, à qui il était loisible de suivre ainsi, sur la toile, les traces de son effort.