Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/253

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rouge. Jeanne demeura plusieurs minutes sans rien dire, consternée. Puis son regard chercha Nicolas, l’interrogea.

— Je n’ai pas pu, dit-il avec une rage contenue, je n’ai pas pu. Je suis fini ; comme cela, vois-tu.

Et il lui montra les débris de la palette.

Plus elle l’observait, moins elle le reconnaissait. Un avertissement lui vint que, pour eux, tout allait changer, et elle eut une épouvante dont l’horreur dépassa ce qu’elle avait ressenti en voyant mourir son père. Puis l’accablement de Nicolas lui fit pitié sans le questionner, sans manifester aucune surprise, elle l’enlaça, reprit son rôle.

— Nicolas, Nicolas, songe à ce que le monde attend de toi ; ce tableau, il l’escompte comme une joie promise ; des milliers de gens s’en iront meilleurs après l’avoir contemplé. Tu doutes de toi, mais ferme les yeux et confie-toi à ta maîtrise. On te l’a dit cent fois, tu es Ingres, et tu es Vinci, et tu as trente-six ans ! Tu es dans toute ta puissance, et, je le sais bien, moi, cette œuvre qui va naître de toi, nul artiste, dans aucun siècle glorieux, ne l’aura jamais égalée. Ce sera beau comme l’Évangile. Tous les yeux des femmes se mouilleront devant ton tableau. Oh ! je la vois moi, telle qu’elle sera dans deux, dans trois mois peut-être, quand tu auras vaincu cette crise. Et en parlant, elle posait ses lèvres sur le front