Aller au contenu

Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/302

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Que suis-je donc devenue pour toi ? dit enfin Jeanne douloureusement.

— La rédemptrice, la confidente unique, mon refuge. Je mettrai mon âme à nu devant toi tu sauras mes luttes, mes déchirements. Quand les cris de l’Autre, qui m’appellera secrètement, viendront jusqu’à moi, tu me retiendras dans le devoir, tu m’y retiendras de force, tu me lieras de tes bras, tu entends. Et je t’obéirai parce que je te vénère, parce que tu es demeurée ma compagne incomparable.

Alors Jeanne entrevit ce rôle austère de prêtre qui devenait le sien. Leur amour était à jamais aboli. Celui en qui elle voyait toujours la chair de sa chair n’était plus qu’un corps sans âme ramené au foyer par les impulsions d’une conscience impérieuse et impitoyable, un farouche pénitent incapable d’étouffer en lui le désir de l’Autre. Et cette Autre, inconnue peut-être abjecte, garderait le bénéfice d’un amour abdiqué en pleine ivresse, tandis qu’elle récolterait toutes les rancœurs que la Règle, même respectée, inspire aux malheureux passionnés qu’elle meurtrit. C’était pour elle la fin de toute espérance. Néanmoins, elle dit à Nicolas :

— Mon pauvre ami, je suis toujours tienne, en toute circonstance. Mais que peut la tendre pitié que je t’offre dans l’état où je te vois ?

— Fais de moi ce que tu voudras. Je suis une chose inerte entre tes mains. Je suivrai les directions que tu me donneras : ton âme remplacera