Page:Yver - Les Sables mouvants.djvu/303

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la mienne, et c’est ainsi que je vivrai désormais.

Jeanne réfléchit un instant, puis, lui saisissant le bras :

— Eh bien ! viens avec moi…

Et comme il se laissait faire, elle le conduisit ainsi jusqu’à son atelier, devant le chevalet où était ébauché le Christ aux deux mains tendues vers la foule, la figure nouvelle, enfin trouvée, que l’avant-veille Nicolas avait conçue dans la joie. Et elle dit :

— Il ne s’agit plus de nous aimer, n’est-ce pas ? Il ne s’agit plus d’être heureux. Mais il y a le Devoir. Travaille, Nicolas, pour oublier.

Un jour passa, Nicolas avait repris sa palette et travaillait. Jeanne était venue lire à l’atelier. Nicolas lui savait gré de son silence, de sa présence tutélaire. Elle tenait son triste rôle avec sa délicatesse coutumière. La compassion l’emportait en elle sur les blessures mêmes dont souffrait sa dignité, et Nicolas rencontrait à toute heure la douceur de son regard qui, à chaque fois, l’absolvait. Le second jour, une sorte de paix qui ressemblait à de la stupeur était descendue en lui, et il ne quittait pas son chevalet. D’une peinture tourmentée et inquiète qui lui ressemblait à peine, il construisait un Christ plein de mystère et de douleur, un véritable Ecce Homo. Par moments, il s’arrêtait de peindre. Un soupir soulevait sa poitrine, mais sans une larme, sans une minute d’indulgence pour le rêve impérieux qui le solli-