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jamais fou furieux n’a été muré si étroitement. Et l’éternel silence, et la lente agonie sous l’exécration de tout un peuple ! Maintenant, osez-vous dire que cet homme n’est pas coupable ?

Eh bien ! c’est ce que nous disons, nous autres, les membres du syndicat. Et nous le disons à la France, et nous espérons qu’elle finira par nous entendre, car elle s’est toujours enflammée pour les causes justes et belles. Nous lui disons que nous voulons l’honneur de l’armée, la grandeur de la nation. Une erreur judiciaire a été commise et tant qu’elle ne sera pas réparée, la France souffrira, maladive, comme d’un cancer secret qui peu à peu ronge les chairs. Et si, pour lui refaire de la santé, il y a quelques membres à couper, qu’on les coupe !

Un syndicat pour agir sur l’opinion, pour la guérir de la démence où la presse immonde l’a jetée, pour la ramener à sa fierté, à sa générosité séculaires. Un syndicat pour répéter chaque matin que nos relations diplomatiques ne sont pas en jeu, que l’honneur de l’armée n’est point en cause, que des individualités seules peuvent être compromises. Un syndicat pour démontrer que toute erreur judiciaire est réparable et que s’entêter dans une erreur de ce genre, sous le prétexte qu’un conseil de guerre ne peut se tromper, est la plus monstrueuse des obstinations, la plus effroyable des infaillibilités. Un syndicat pour mener campagne jusqu’à ce que la vérité soit faite, jusqu’à ce que la justice soit rendue, au travers de tous les obstacles, même si des années de lutte sont encore nécessaires.

De ce syndicat, ah ! oui, j’en suis, et j’espère bien que tous les braves gens de France vont en être !

PROCÈS-VERBAL

Ces pages ont paru dans le Figaro, le 5 décembre 1897.

C’est le troisième et dernier article qu’il me fut permis de donner au Figaro. J’eus même quelque peine à l’y faire passer ; et, comme on le verra, je crus sage d’y prendre congé du public, sentant l’impossibilité où. j’allais être de continuer ma campagne, dont s’émotionnaient les lecteurs habituels du journal. J’admets très bien, pour un journal, la nécessité de compter avec les habitudes et les passions de sa clientèle. Aussi, chaque fois que je me suis trouvé arrêté de la sorte, je ne m’en suis jamais pris qu’à moi-même, de m’être trompé sur le terrain et sur les conditions de la lutte. — Le Figaro ne s’en est pas moins montré courageux, en accueillant ces trois articles, et je le remercie.

Ah ! quel spectacle, depuis trois semaines, et quels tragiques, quels inoubliables jours nous venons de traverser ! Je n’en connais pas qui aient remué en moi plus d’humanité, plus d’angoisse et plus de généreuse colère. J’ai vécu exaspéré, dans la haine de la bêtise et de la mauvaise foi, dans une telle soif de vérité et de justice, que j’ai compris les grands mouvements d’âme qui peuvent jeter un bourgeois paisible au martyre.

C’est, en vérité, que le spectacle a été inouï, dépassant en brutalité, en effronterie, en ignoble aveu tout ce que la bête humaine a jamais confessé de plus instinctif et de plus bas. Un tel exemple est rare de la perversion, de la démence d’une foule, et sans doute est-ce pour cela que je me suis passionné à ce point, outre ma révolte humaine, en romancier, en dramaturge, bouleversé d’enthousiasme devant un cas d’une beauté si effroyable.

Aujourd’hui, voici l’affaire qui entre dans la phase régulière et logique, celle que nous avons désirée, demandée sans relâche. Un conseil de guerre est saisi, la vérité est au bout de ce nouveau procès, nous en sommes convaincus. Jamais nous n’avons voulu autre chose. Il ne nous reste qu’à nous taire et à attendre ; car, la vérité, ce n’est pas nous encore qui devons la dire, c’est le conseil de guerre qui doit la faire, éclatante. Et nous n’interviendrions de nouveau que si elle n’en sortait point complète, ce qui est, d’ailleurs, une hypothèse inadmissible.

Mais, la première phase étant terminée, ce gâchis en pleines ténèbres, ce scandale où tant de laides consciences se sont mises à nu, le procès-verbal doit en être dressé, il faut conclure sur elle. Car, dans la tristesse profonde des constatations qui s’imposent, il y a l’enseignement viril, le fer rouge dont on cautérise les plaies. Songeons-y tous, l’affreux spectacle que nous venons de nous donner à nous-mêmes doit nous guérir.

D’abord, la presse.

Nous avons vu la basse presse en rut, battant monnaie avec les curiosités malsaines, détraquant la foule pour vendre son papier noirci, qui cesse de trouver des acheteurs, dès que la nation est calme, saine et forte. Ce sont surtout les aboyeurs du soir, les feuilles de tolérance qui raccrochent les passants avec leurs titres en gros caractères, prometteurs de débauches. Celles-là n’étaient que dans leur habituel commerce, mais avec une impudence significative.

Nous avons vu, plus haut dans l’échelle, les journaux populaires, les journaux à un sou, ceux qui s’adressent au plus grand nombre et qui font l’opinion de la foule, nous les avons vus souffler les passions atroces, mener furieusement une campagne de sectaires, tuant dans notre cher peuple de France toute générosité, tout désir de vérité et de justice. Je veux croire à leur bonne foi. Mais quelle tristesse, ces cerveaux de polémistes vieillis, d’agitateurs déments, de patriotes étroits, devenus des conducteurs d’hommes,