Aller au contenu

Page:Zola - Œuvres critiques, 1906, tome 2.djvu/327

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

on le leur avait prédit, et c’est leur faute.

Nous avons vu des énergumènes triompher en exigeant la vérité de ceux qui disaient la savoir, lorsque ceux-ci ne pouvaient la dire, tant qu’une enquête restait ouverte. La vérité, elle a été dite au général chargé de cette enquête, et lui seul a eu mission de la faire connaître. La vérité, elle sera dite encore au juge instructeur, et il aura seul qualité pour l’entendre, pour baser sur elle son acte de justice. La vérité : quelle conception avez-vous d’elle, dans une pareille aventure, qui ébranle toute une vieille organisation, pour croire qu’elle est un objet simple et maniable, qu’on promène dans le creux de sa main et qu’on met à volonté dans la main des autres, telle qu’un caillou ou qu’une pomme ? La preuve, ah ! oui, la preuve qu’on voulait là, tout de suite, comme les enfants veulent qu’on leur montre le vent qui passe. Soyez patients, elle éclatera, la vérité ; mais il y faudra tout de même un peu d’intelligence et de probité morale.

Nous avons vu une basse exploitation du patriotisme, le spectre de l’étranger agité dans une affaire d’honneur qui regarde la seule famille française. Les pires révolutionnaires ont clamé qu’on insultait l’armée et ses chefs, lorsque, justement, on ne veut que les mettre hors de toute atteinte, très haut. Et, en face des meneurs de foule, des quelques journaux qui ameutent l’opinion, la terreur a régné. Pas un homme de nos assemblées n’a eu un cri d’honnête homme, tous sont restés muets, hésitants, prisonniers de leurs groupes, tous ont eu peur de l’opinion, dans la prévision inquiète sans doute des élections prochaines. Ni un modéré, ni un radical, ni un socialiste, aucun de ceux qui ont la garde des libertés publiques, ne s’est levé encore pour parler selon sa conscience. Comment voulez-vous que le pays sache son chemin, dans la tourmente, si ceux-là mêmes qui se disent ses guides, se taisent, par tactique de politiciens étroits, ou par crainte de compromettre leurs situations personnelles ?

Et le spectacle a été si lamentable, si cruel, si dur à notre fierté, que j’entends répéter autour de moi : « La France est bien malade pour qu’une pareille crise d’aberration publique puisse se produire. » Non ! elle n’est que dévoyée, hors de son cœur et de son génie. Qu’on lui parle humanité et justice, elle se retrouvera toute, dans sa générosité légendaire.

Le premier acte est fini, le rideau est tombé sur l’affreux spectacle. Espérons que le spectacle de demain nous rendra courage et nous consolera.

J’ai dit que la vérité était en marche et que rien ne l’arrêterait. Un premier pas est fait, un autre se fera, puis un autre, puis le pas décisif. Cela est mathématique.

Pour le moment, dans l’attente de la décision du conseil de guerre, mon rôle est donc terminé ; et je désire ardemment que, la vérité étant faite, la justice rendue, je n’aie plus à lutter pour elles.

LETTRE À LA JEUNESSE

Ces pages ont paru en une brochure, qui a été mise en vente le 14 décembre 1897.

Ne voyant alors aucun journal qui me prendrait mes articles, et désireux en outre d’être absolument libre, je fis le projet de continuer ma campagne, par une série de brochures. D’abord, j’avais l’idée de les lancer à jour fixe, régulièrement, une par semaine. Puis, je préférai rester le maître des dates de publication, de façon à choisir mes heures, à n’intervenir que sur les sujets et seulement les jours où je le croirais utile.

Où allez-vous, jeunes gens, où allez-vous, étudiants, qui courez en bandes par les rues, manifestant au nom de vos colères et de vos enthousiasmes, éprouvant l’impérieux besoin de jeter publiquement le cri de vos consciences indignées ?

Allez-vous protester contre quelque abus du pouvoir, a-t-on offensé le besoin de vérité et d’équité, brûlant encore dans vos âmes neuves, ignorantes des accommodements politiques et des lâchetés quotidiennes de la vie ?

Allez-vous redresser un tort social, mettre la protestation de votre vibrante jeunesse dans la balance inégale, où sont si faussement pesés le sort des heureux et celui des déshérités de ce monde ?

Allez-vous, pour affirmer la tolérance, l’indépendance de la raison humaine, siffler quelque sectaire de l’intelligence, à la cervelle étroite, qui aura voulu ramener vos esprits libérés à l’erreur ancienne, en proclamant la banqueroute de la science ?

Allez-vous crier, sous la fenêtre de quelque personnage fuyant et hypocrite, votre foi invincible en l’avenir, en ce siècle prochain que vous apportez et qui doit réaliser la paix du monde, au nom de la justice et de l’amour ?

— Non, non ! Nous allons huer un homme, un vieillard, qui, après une longue vie de travail et de loyauté, s’est imaginé qu’il pouvait impunément soutenir une cause généreuse, vouloir que la lumière se fasse et qu’une erreur soit réparée, pour l’honneur même de la patrie française !

Ah, quand j’étais jeune moi-même, je l’ai vu, le Quartier latin, tout frémissant des fières passions de la jeunesse, l’amour de la liberté, la haine de la force brutale, qui écrase les cerveaux et comprime les âmes. Je l’ai vu, sous l’Empire, faisant son œuvre brave d’opposition, injuste même parfois, mais toujours dans un excès de libre émancipation humaine. Il sifflait les auteurs