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Séduction, jeunes amours/04

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Aux dépens d’un amateur, pour le profit de quelques autres (imprimé à Paris) (p. 47-54).

CHAPITRE IV

ESCARMOUCHES AMOUREUSES


Claire et Claude, nos gentils amoureux, continuaient de s’aimer, l’une avec toute la poésie de son âme vierge, l’autre avec toute l’ardeur de ses vingt ans ; et cet amour s’était accru à mesure que leur intimité se faisait plus grande et que leurs âmes se comprenaient davantage.

La charmante jeune fille s’abandonnait toute à ce sentiment, suprême joie des natures douces et affectueuses comme la sienne. Tel le papillon ébloui par la flamme va y brûler ses ailes irisées de toutes les couleurs de l’arc-en-ciel, l’enfant cède à l’amour dont elle ne sait que la radieuse volupté. La vie n’est-elle pas contenue tout entière dans ce mot : « Aimer » !

Dans ces admirables soirées d’été dont on ne saurait décrire la troublante poésie, dans ce parc de Messange empli des arômes de la forêt, à cette même place, près de l’étang aux blancs nénuphars et aux roseaux irradiés de la lumière lunaire, où ils s’étaient fait leurs premiers aveux, Claire et son ami étaient revenus bien des fois chercher la solitude chère aux amoureux. Puis c’était devenu un tel besoin que, maintenant, plus un jour ne se passait sans que les jeunes gens vinssent s’y étreindre dans un de ces baisers où se donne toute l’âme.

Et chaque fois cela avait été un enchantement nouveau, les baisers étaient plus délicieux, les caresses plus suaves. Leurs paroles mêmes étaient une douce musique berçant leur amour et s’exaltant en lui promettant l’éternelle durée.

Claire n’avait plus à se plaindre des entreprises qui l’avaient effarouchée. Le jeune homme, en effet, craignant de compromettre un amour qui l’avait pris maintenant tout entier et était devenu sa vie, semblait avoir oublié le côté charnel de sa passion. La vérité, au contraire, était que le simple désir ressenti à la pêche aux écrevisses était devenu un besoin indomptable depuis que la passion était entrée dans son âme et qu’il connaissait davantage les charmes adorables de sa bien-aimée. La vérité était qu’il souffrait parfois mille angoisses de ces rendez-vous où la jeune fille était à sa discrétion et qu’il devait alors avoir recours à toute son énergie pour ne pas crier son désir comme une bête en rut et la prendre toute. La vérité, enfin, c’est que cette torture ne pouvait durer indéfiniment et que bientôt, il le sentait et s’en attristait, le mâle se redresserait de nouveau, affamé de possession.

Un jour que Claire et ses parents avaient été faire une partie de campagne chez leurs amis au château d’Estange, on les avait retenus assez tard dans la soirée. Malgré le plaisir qu’elle avait eu avec ses amies, Claire était toute triste d’avoir passé une journée entière loin de Claude, qui n’avait pas été invité à cette partie de jeunes filles. Claude, de son côté, était tout affligé de n’avoir point vu son amie ; de sa chambre, il épiait sa rentrée au château, ne voulant pas se coucher sans l’avoir au moins embrassée.

Vers onze heures, il l’entendit venir. Après un long moment d’hésitation, il enleva ses bottines, afin qu’on ne l’entendit pas dans le corridor, courut sans lumière à la chambre de Claire, en ouvrit la porte qui n’était point fermée à clef et entra dans la chambre.

— Claire, tu es déjà couchée ? fit-il.

— Oui, Claude, toi ici, quelle surprise !

— C’est que je n’ai pu te voir de toute la journée et que je voudrais bien t’embrasser.

— Je veux bien, mon chéri, mais tu t’en iras tout de suite après pour qu’on ne te surprenne pas ici.

— Que tu es gentille, ma Claire adorée ! Laisse-moi m’asseoir près de ton lit pour que je puisse sinon te voir, du moins te sentir à mon côté un instant.

La jeune fille accorda ce que lui demandait son ami. Claude se pencha sur elle, couvrit sa figure de baisers passionnés et colla longuement ses lèvres aux siennes dans un baiser de fièvre. Puis, déboutonnant la chemise de nuit, il plongea avidement sa figure dans toute cette chair de vierge veloutée et fleurant bon, léchant la pointe dressée des seins, les prenant à pleines mains et les caressant. Le parfum aimé et familier des longs cheveux blonds, mélangé à l’odeur fade des aisselles, le remplissait de trouble, lui faisant venir à l’esprit des comparaisons plus intimes encore et le grisant véritablement.

Un désir irrésistible lui vint de connaître tout ce que ce corps délicieux avait de secret pour lui, ces parties cachées qui sont l’essence même de la femme et qu’il brûlait de connaître depuis si longtemps. L’instinct sexuel grondait en lui sourdement, son sang battait, lui donnait comme un vertige… et puis, la situation était si excitante, de cette jeune fille aimée, couchée presque sous lui, la poitrine découverte…

Claire, en effet, dans son innocente candeur, avait été bien engageante. Soudain, elle lui serra fortement le bras, toute tremblante, en lui disant : Silence ! On entendait un bruit de pas dans l’escalier : c’était le marquis qui montait se coucher. Et la porte était restée entr’ouverte !… Claire retint son souffle, attendant que son père fût passé. Claude vit, comme dans un éclair, que la jeune fille était sans défense et ne pouvait résister sans se perdre. D’un geste fou il écarta les couvertures, releva la chemise, glissa la main entre les cuisses, forçant celles-ci à s’écarter, et arriva aux parties sexuelles.

Claire, éperdue, résistait faiblement, n’osant ni remuer, ni déployer sa force, dans la crainte de quelque heurt qui aurait fait du bruit et eût tout perdu. Elle pleurait et repoussait des deux mains sa chemise sur son ventre, empêchant pourtant Claude de bouger.

Le pas de son père fit craquer le plancher du corridor, tout près ; à ce moment Claire, terrifiée, cessa de se défendre. Alors Claude prit à pleine main les parties sexuelles de la jeune fille et les caressa ardemment, faisant mouvoir son doigt dans la petite fente et branlant vivement le clitoris qu’il sentit volumineux et tout raidi. Mais cela ne suffisait pas à sa rage de possession de ce corps délicieux : il écarta les cuisses des deux mains et colla avidement sa bouche sur la bouche intime de la jeune fille. Il eut une sensation de chaleur ; une légère odeur caractéristique, point désagréable, s’en dégageait et cette petite fente était toute mouillée. Il se disposait à faire éprouver à Claire, avec sa langue, le spasme de l’amour, lorsqu’on entendit le marquis fermer sa porte à clef. Aussitôt Claire, faisant un violent effort, parvint à se dégager et, repoussant durement Claude, sauta du lit. Puis, sans prononcer un seul mot, elle le prit par le bras et le fit sortir de sa chambre où elle s’enferma.

Huit jours durant ils furent brouillés. Claire ne lui parla plus, affectant de ne pas le voir et, à table même, de ne pas s’apercevoir de sa présence. Puis elle ne sortit plus seule, passant des après-midi entiers auprès de sa mère.

Claude était désespéré, il croyait la rupture définitive, et comme il aimait de toute son âme, il marchait comme las, la tête baissée. La marquise s’informait de sa santé au repas, et Claire fut bien forcée de s’apercevoir de l’état misérable de son ami. Combien il l’aimait ! il ne pouvait donc pas vivre sans son amour. Il le lui avait bien dit, mais la vérité était éclatante. Claire en était touchée jusqu’au fond de l’âme. Sans doute ce que Claude avait fait était bien vilain, et dans son innocence elle se torturait vainement l’esprit pour comprendre le plaisir qu’il pouvait trouver à ces indécences qui froissaient vivement sa pudeur, tout en lui causant une émotion indéfinissable, mais sa colère ne pouvait tenir bien longtemps devant son amour.

Parmi les lois fatales de la vie de l’âme, il en est une reconnue de tous, car pour tous elle a été souventes fois ressentie, c’est le besoin pour nous de voir les lieux où nous avons été heureux. Un lambeau de notre âme y est demeuré, et c’est une partie de nous-mêmes que cet endroit où nous avons vécu d’une vie plus intense.

C’est à ce sentiment qu’obéissaient les deux enfants lorsqu’ils allaient rôder autour de la mare aux blancs nénuphars, voulant revoir sous la saulaie le coin de terre où ils s’étaient aimés. Un après-midi que Claire s’y était rendue, le cœur serré, elle vit Claude assis à la place habituelle : le pauvre garçon pleurait. D’un bond elle fut près de lui, s’agenouilla à ses pieds, et enleva le mouchoir qui couvrait sa figure. Puis posant ses lèvres sur les siennes, elle fit passer dans un long, bien long baiser, toute sa compassion et tout son amour, tandis qu’elle sentait les larmes de son ami couler lentement sur ses propres joues, car Claude pleurait toujours, mais c’était de joie maintenant.

Et la jeune fille redressant coquettement sa tête ravissante, la recula un peu pour contempler son ami, le regardant longuement dans les yeux, lui envoyant un regard adorable où Claude put lire une infinie tendresse et le pardon de ses torts. Ils échangèrent de tendres baisers et de douces paroles et rentrèrent au château en se prenant amoureusement la taille comme avant.