Sabbat (1923)/Le combat

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J. Ferenczi et Fils (p. 269-271).

LE COMBAT

Je me suis repliée, dans l’ordre et le rythme, toutes les fois que je l’ai voulu ; mais, à chaque rencontre, mes étendards ont été plus trempés du sang des roses, et leur hampe s’est durcie, dans mes mains d’Archange, comme le soleil des Sporades qui regardait l’Évangéliste décrire sa fin sur ses genoux mortels.

Je me suis enrichie, toutes les fois, de ce que j’ai laissé dans la bataille, et je sais trop bien que lorsque l’adversaire refuse de se rendre, notre puissance se développe, comme le marteau concentre sa force, quand il sollicite l’étincelle. Je sais trop bien que tout a la divinité, dès qu’il possède l’entêtement, et ne cesse pas d’aspirer au Jour de gloire.

J’ai été t’attendre, ailleurs, voilà tout ; mais ai-je crié : « Grâce ! » parce qu’après les jours de lutte, dans l’auguste solitude de la réflexion, de la patience et de la nuit, j’ai refermé sur moi mes ailes pour t’aimer ?

De tes yeux, quand je les convoitais, je n’eus que la flamme ; mais dès que j’ai compris, en les voyant se dérober, que je voulais autre chose de plus certain, j’ai su que j’en aurai l’âme.

De ton cœur, quand je l’effleurais, je n’eus que la chaleur ; mais dès que j’ai compris, en le voyant me trahir, que je voulais autre chose de plus insaisissable, j’ai su que j’en aurai la vie.

De ton existence, quand je la possédais, je n’eus que l’heure ; mais dès que j’ai compris, en la voyant s’écouler, que je voulais autre chose de plus durable, j’ai su que j’en aurai l’éternité.

Ainsi, ce que tu peux appeler tes triomphes, a assuré le mien, et j’ai appris que c’est en nous échappant que nos aimés nous apprennent combien nous les voulons. Dès lors, ils sont à nous.

Plus habile, tu m’aurais obéi, et, de cette façon, ma domination satisfaite se serait complue dans sa limite, comme les rois de ce monde.

Mais, imprudent, tu m’as résisté combien de fois ! Me voici donc redoutable. Les glaives brisés ont la noblesse des soleils qui ont combattu, et je me sers de l’acier de mes dépouilles pour aiguiser mes armes neuves.

Vaincue à ***, battue à ***, blessée en plein cœur à ***, laissée pour morte à ***, ne crains rien : je sais ce qu’est la guerre, je veux dire la victoire.

Et maintenant, et maintenant que, t’ayant abandonné le champ clos, l’espace libre, le rempart, la forteresse, le clocher, la montagne, la nue, maintenant que, Milice étincelante et casquée, j’ai reculé jusqu’au ciel — et qui, jamais, en a fait autant ? — prends garde !