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Théorie des fonctions analytiques/Partie I/Chapitre 11

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Gauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome IXp. 127-141).
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Première partie


CHAPITRE XI.

Où l’on donne l’équation primitive d’une équation du premier ordre dans laquelle les variables sont séparées, mais où l’on ne peut point obtenir directement les fonctions primitives de chacun des deux membres. Propriétés remarquables de ces fonctions primitives.

67. Prenons pour dernier exemple l’équation du premier ordre

En la divisant par le radical en on aurait une équation où les variables et y seraient séparées ; mais il serait impossible d’obtenir ainsi l’équation primitive, parce que les deux membres ne sont point réductibles en particulier à des fonctions primes.

Voici néanmoins comment on y peut parvenir par le moyen des fonctions dérivées.

Je suppose d’abord que et soient fonctions d’une autre variable il faudra, pour cela, substituer à la place de (no 50) ; et seront alors les fonctions primes de et regardées comme fonctions de En supposant que soit une fonction quelconque de l’équation donnera pour une fonction déterminée de ainsi je puis supposer que soit une telle fonction de que l’on ait l’équation

l’équation précédente, où l’on a mis pour donnera pareillement

Qu’on fasse disparaître les radicaux dans ces deux équations, qu’ensuite on prenne les fonctions primes, on aura, après avoir divisé l’une par l’autre par

Faisons ce qui donne

les deux équations précédentes, ajoutées et retranchées, donneront

De plus, comme si l’on substitue les valeurs de et de tirées des premières équations, on aura

Maintenant je fais cette combinaison :

multipliant les deux membres par ils deviennent les fonctions primes de et de de sorte que j’aurai d’abord cette équation primitive du premier ordre

est une constante arbitraire.

Pour la déterminer, soit la valeur de lorsque on aura dans ce cas, par les équations ci-dessus,

je fais cette dernière quantité égale à pour abréger.

Ainsi, puisque on aura, lorsque

Faisant ces substitutions dans l’équation qu’on vient de trouver, on aura

où l’on voit que, puisque est une quantité indéterminée, la constante demeure aussi indéterminée ; mais les déterminations précédentes seraient utiles si, par d’autres combinaisons, on trouvait de nouvelles équations primitives avec des constantes arbitraires.

Nous avons donc l’équation

qui, quoique du premier ordre, peut néanmoins donner tout de suite l’équation primitive en et de la proposée, puisque la valeur de qui est est déjà connue en et En effet, substituant les valeurs de et on aura

est la constante arbitraire.

Cette équation en et est, comme l’on voit, sous une forme assez simple, et la méthode par laquelle nous y sommes parvenus est fort remarquable ; mais cette équation n’est pas la seule qu’on puisse obtenir par les formules que nous venons de trouver.

En effet, si l’on substitue la valeur précédente de dans l’équation trouvée plus haut, qui donne la valeur de on en tirera

Ici, remettant pour et leurs valeurs et et pour sa valeur

on aura une nouvelle équation en et avec la constante arbitraire a, qui sera également l’équation primitive de la proposée, mais qui ne sera qu’une transformée de l’équation précédente.

68. L’équation du premier ordre dont nous venons de trouver l’équation primitive peut toujours, par des transformations convenables, se réduire à la forme

étant ici une fonction de Comme cette équation, traitée directement de la même manière, est susceptible d’une analyse beaucoup plus simple et plus élégante, j’ai cru qu’on ne serait pas fâché de la trouver ici.

On regardera et comme fonctions d’une autre variable et, après avoir substitué, en conséquence, à la place de (no 50), on fera ces deux équations séparées

après les avoir carrées, on en prendra les fonctions primes ; on aura, en divisant l’une par et l’autre par ces deux-ci du second ordre :

Soient maintenant les deux équations précédentes, ajoutées et retranchées, deviendront par les théorèmes connus,

Il est d’abord visible que, si l’on ajoute ces deux équations après avoir multiplié la première par et la seconde par le premier membre deviendra la fonction prime de et le second la fonction prime de de sorte qu’on aura d’abord cette équation primitive du premier ordre,

étant la constante arbitraire.

Pour la déterminer, supposons que donne on aura donc dans ce cas

donc

de sorte que l’on aura

On aura donc simplement l’équation

d’où l’on peut conclure que cette équation primitive, ne renfermant point de constante arbitraire, doit être comprise dans les équations du premier ordre en et d’oà nous sommes partis. En effet, ces équations donnent, en substituant les valeurs de et

Divisons maintenant par cette équation du premier ordre les deux équations ci-dessus du second en et on aura ces deux-ci,

dont la première étant multipliée par et la seconde par donneront ces équations primitives

ou bien, en passant des logarithmes aux nombres,

et étant des constantes arbitraires qu’on déterminera par les mêmes suppositions que ci-dessus, d’où l’on aura

Les deux équations qu’on vient de trouver pourraient donner chacune une équation primitive en et par la substitution des valeurs de on aurait ainsi

Comme les valeùrs de et renferment l’indéterminée chacune de ces valeurs pourra être regardée aussi comme indéterminée en particulier ainsi, dans chacune de ces équations à part, on pourra regarder ou comme constante arbitraire ; mais, si l’on voulait faire une combinaison quelconque de ces équations, il faudrait employer les valeurs de et trouvées ci-dessus, et alors la quantité serait la seule constante arbitraire.

Ces dernières équations étant compliquées de radicaux, il sera à propos de chercher encore une autre équation primitive d’après les mêmes équations du premier ordre

or, en divisant l’une par l’autre, on a

et, multipliant en croix,

d’où l’on tire tout de suite l’équation primitive

étant une nouvelle constante arbitraire qu’il faudra déterminer comme ci-dessus. Or, en faisants et on a

donc l’équation précédente donnera

Substituant les valeurs de ainsi que celles de et dans la même équation, et faisant les réductions des sinus et cosinus, elle prendra cette forme très-simple

c’est l’équation primitive de la proposée du premier ordre en et et l’angle en est la constante arbitraire.

69. On peut regarder les angles et comme les trois côtés d’un triangle sphérique ; il est visible qu’alors, dans l’équation précédente, la quantité sera le cosinus de l’angle compris entre les côtés et et par conséquent opposé au côté par les formules connues de la Trigonométrie sphérique ; c’est la valeur de lorsque et Ainsi cet angle sera constant en même temps que le côté tandis que les deux autres varient.

Soit cet angle constant ; on aura donc

d’où l’on tire

Si l’on fait cette substitution dans l’équation proposée en et et qu’on suppose, pour abréger, elle se réduira à cette forme

dont l’équation primitive sera la relation entre les côtés et d’un triangle sphérique dans lequel sera le rapport des sinus des angles aux sinus des côtés opposés, rapport qu’on sait être le même pour tous les angles et les côtés opposés, de sorte que, ce rapport seul étant donné, il restera l’angle ou le côté pour arbitraire.

La considération du triangle sphérique peut servir à faire voir plus facilement comment l’équation entre ses trois côtés satisfait à l’équation précédente du premier ordre. Cette équation étant

si l’on prend les fonctions primes, en regardant cômme fonction de et comme constantes, on aura

Substituons à la place de sa valeur tirée de la même équation ; il viendra celle-ci :

Maintenant, si dans le même triangle sphérique, dont sont les trois côtés et l’angle opposé au côté on désigne par et les angles opposés aux côtés et on aura également

je donne à le signe parce que je suppose l’angle obtus. Donc, faisant ces substitutions et divisant toute l’équation par elle deviendra

Mais, par la propriété générale des triangles sphériques, on a

donc

et de là

substituant ces valeurs, on aura la même équation du premier ordre en et

Si l’angle que nous avons supposé obtus, était aigu, ainsi que l’angle alors, au lieu de l’équation on aurait celle-ci,

qui ne diffère que par le signe de et dont l’équation primitive sera la même.

70. Voici encore, une considération essentielle sur ces sortes d’équations : l’équation du no 68 étant mise sous cette forme

supposons que soit la fonction primitive de sera pareillement la fonction primitive de étant regardé comme une fonction de dont est la fonction prime. Ainsi, en repassant aux fonctions primitives, on aura sur-le-champ cette équation primitive

étant la constante arbitraire.

Cette équation devra donc coïncider avec l’équation primitive que nous avons trouvée au no 68, et où la constante arbitraire est par conséquent, sa constante arbitraire ne pourra être qu’une fonction de la constante arbitraire Soit donc on aura

Mais est la valeur de lorsque supposant donc, pour plus de simplicité, que la fonction soit prise de manière qu’elle soit nulle lorsque il faudra qu’en faisant on ait aussi par conséquent, on aura donc l’équation primitive qu’on vient de trouver deviendra

à laquelle satisfera cette relation algébrique :

Ainsi, quoiqu’on ne puisse pas trouver la forme algébrique des fonctions on peut néanmoins trouver une relation algébrique entre trois quantités telle que l’on ait

Donc aussi, si dans l’équation précédente on change en et en on aura

et

En changeant encore en en ce qui donnera

on aura de même

et ainsi de suite.

On aura donc successivement

et les relations entre et entre et etc., se tireront des relations précédentes, en éliminant d’abord ensuite etc.

On peut appliquer cette théorie à la forme générale de l’équation que nous avons considérée dans le no 67 et en tirer des conclusions semblables ; mais, si l’on rapporte, comme au no 69, les formules précédentes aux triangles sphériques, il en résulte une construction élégante que voici.

Soit formé un triangle sphérique dont les trois côtés soient (pour éviter les fractions, je substitue les quantités à la place de dans les formules du numéro cité) et où l’angle entre et soit obtus ; l’angle compris entre les deux côtés et demeurant constant, qu’on transporte alternativement la base le long de ces mêmes côtés prolongés, de manière qu’il en résulte une suite de triangles, dont chacun ait toujours un côté commun avec le triangle précédent, et qui aient tous la même base et l’angle commun au sommet ; alors, si les côtés qui comprennent cet angle sont successivement pour ces différents triangles et et et on aura

étant la fonction primitive de la fonction dans laquelle et ainsi des autres fonctions semblables en

Par cette construction, on peut trouver facilement les valeurs des côtés des nouveaux triangles, car, en considérant les triangles isoscèles qui ont pour côtés la base transportée alternativement, les perpendiculaires abaissées de leurs sommets sur leurs bases respectives couperont ces bases en deux parties égales, et les triangles rectangles formés par ces perpendiculaires et par les côtés qui comprennent l’angle commun donneront tout de suite, par l’analogie connue pour les triangles rectangles, ces équations

et, si l’on fait en sorte que le premier triangle soit isoscèle, ayant pour base, on aura de plus l’équation

et l’on aura alors

Nous remarquerons ici que cette construction est pour les triangles sphériques ce que la construction du problème 29 des questions géométriques de l’Arithmétique de Newton est pour les triangles rectilignes.

En effet, si l’on rend rectilignes les triangles sphériques dont les côtés sont et les bases les équations ci-dessus deviennent

et il est facile de prouver qu’alors la fonction devient proportionnelle à l’angle dont le sinus est parce que et se changent en et de sorte que, en prenant la base pour le sinus de l’angle opposé on aura, à cause de

71. Nous nous sommes un peu étendu sur les propriétés des fonctions de la forme parce que les géomètres s’en sont beaucoup occupés et que ces fonctions se présentent dans la solution de plusieurs problèmes.

Si l’on demande, par exemple, le mouvement d’un pendule qui oscille d’une-manière quelconque, et qu’on nomme la longueur du pendule, l’angle dont il est éloigné de la verticale dans un instant quelconque, la plus grande valeur de la plus petite, en prenant l’unité pour la gravité et faisant

on aura pour l’expression du temps depuis le point le plus bas, dans laquelle on suppose, comme ci-dessus,

La vitesse angulaire de rotation autour de la verticale sera exprimée par

et sera, par conséquent, nulle lorsque le pendule passera par la verticale, dans lequel cas on a c’est le cas des oscillations ordinaires.

72. On peut appeler analyse directe des fonctions la manière due trouver les fonctions et les équations dérivées, parce qu’elle n’est fondée, en effet, que sur des méthodes directes, et qu’elle n’emploie que des opérations qu’on peut toujours exécuter par les règles que nous avons exposées. Mais la manière de revenir de ces fonctions et de ces équations à celles d’où elles peuvent être dérivées, et qu’on peut regarder comme leurs primitives, forme une autre partie de l’analyse des fonctions, qu’on peut appeler analyse inverse, parce qu’elle dépend des mêmes méthodes et des mêmes règles, mais prises inversement, et qui, par cette raison, ne s’appliquent pas toujours avec la même facilité ni le même succès. Il en est de ces deux parties de l’analyse des fonctions comme de celles de l’Arithmétique et de l’Algèbre qui ont pour objet les opérations directes de la multiplication et de l’élévation aux puissances, et les opérations inverses de la division et de l’extraction des racines. Les opérations de la première espèce sont toujours possibles par les règles connues et donnent toujours des résultats exacts ; celles de la seconde espèce, au contraire, ne le sont que dans certains cas, au moins rigoureusement, et, dans tous les autres, elles ne peuvent donner que des résultats approchés.

L’analyse directe des fonctions est donc renfermée dans les règles que nous avons données pour trouver les fonctions dérivées, du moins pour ce qui regarde les fonctions d’une seule variable. Quant à l’analyse inverse, elle dépend aussi des mêmes règles ; mais la difficulté consiste dans leur application aux différents cas.

Nous avons indiqué les méthodes connues pour les principales formes de fonctions ou d’équations, et nous nous sommes surtout appliqué à bien établir les principes généraux de cette analyse inverse.

Comme notre dessein n’est pas d’en donner un Traité complet, nous n’ajouterons point ici d’autres détails ; mais ceux qui savent le Calcul différentiel ne peuvent manquer d’apercevoir la conformité de l’analyse des fonctions avec ce Calcul, et la correspondance des analyses directes et inverses avec les deux parties de ce Calcul qu’on appelle Calculs différentiel et intégral. Ainsi, il leur sera aisé, s’ils le jugent à propos, de transporter aux fonctions les différentes méthodes d’intégration trouvées jusqu’à présent.


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