Théorie des fonctions analytiques/Partie I/Chapitre 12

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Gauthier-Villars (Œuvres de Lagrange. Tome IXp. 142-150).
Première partie


CHAPITRE XII.

Du développement des fonctions de deux variables. de leurs fonctions dérivées. Notation de ces fonctions et conditions auxquelles elles doivent satisfaire. Loi générale qui règne entre les termes du développement d’une fonction de plusieurs variables et ceux qui résultent du développement de ces termes eux-mêmes.

73. Nous n’avons encore traité que des fonctions d’une seule variable il n’est pas difficile d’étendre la théorie de ces fonctions aux fonctions de deux ou de plusieurs variables.

Soit une fonction quelconque de deux variables et qu’on regarde comme indépendantes l’une de l’autre. Si, dans cette fonction, on met à la fois à la place de et à la place de et étant deux quantités indéterminées, qu’ensuite on développe la nouvelle fonction suivant les puissances ascendantes de et il est clair que le premier terme, sans ni sera et que les autres seront de nouvelles fonctions de et de multipliées successivement par ces fonctions dérivent de la fonction primitive et c’est la loi de cette dérivation qu’il s’agit de déterminer.

Pour y parvenir de la manière la plus simple, on commencera par supposer qu’il n’y ait que la variable qui devienne la variable demeurant la même. Dans ce cas, désignant, comme on l’a fait jusqu’ici, par les fonctions primes, secondes, tierces, etc. relativement à seul, on aura

Substituons maintenant partout à la place de on aura

Or, si l’on désigne par les fonctions primes, secondes, tierces, etc. relativement à il est clair que la fonction considérée comme fonction de et indépendamment de deviendra

De même, en supposant toujours que les traits appliqués au bas de la lettre indiquent les fonctions primes, secondes, etc. relativement à y des fonctions déjà désignées par on aura

et ainsi de suite.

Faisant donc ces substitutions et ordonnant les termes par rapport aux puissances et aux produits de et on aura

où la forme générale des termes est

74. Dans le procédé que nous venons de suivre pour avoir le développement de nous avons commencé par substituer, dans pour et nous avons développé suivant nous avons ensuite substitué, dans tous les termes de ce développement, pour et nous avons développé suivant Or il est visible qu’on aurait identiquement le même résultat si l’on commençait par la substitution de pour y et par le développement suivant et qu’on fit ensuite la substitution de pour et le développemen suivant De cette manière, on aurait d’abord les fonctions primes, secondes, etc. relativement à savoir ensuite on aurait les fonctions primes, secondes, etc. de celles-ci relativement à qui, suivant la notation que nous venons d’établir, seraient représentées par et l’on obtiendrait ainsi la même formule que ci-dessus, comme cela doit être. Or, dans le premier procédé, la fonction s’obtient en prenant d’abord la fonction prime de relativement à ce qui donne et ensuite la fonction prime de celle-ci relativement à et, dans le second procédé, la même fonction s’obtient en prenant d’abord la fonction prime de relativement à ce qui donne et ensuite la fonction prime de celle-ci relativement à

D’où il suit qu’il est indifférent dans quel ordre se fasse la double opération nécessaire pour passer de la fonction primitive à la fonction dérivée et, eomme on doit dire la même chose des autres fonctions marquées par des traits placés au haut ou au bas de la caractéristique on en peut conclure en général que les opérations indiquées par ces traits sont absolument indépendantes entre elles et qu’elles conduisent aux mêmes résultats, quelque ordre qu’on suive en prenant les fonctions primes relativement à et à indiquées par chacun des traits supérieurs ou inférieurs. Ainsi, par exemple, on aura également la valeur de en prenant la fonction seconde de relativement à et ensuite la fonction prime de celle-ci relativement à ou en prenant d’abord la fonction prime de relativement à et ensuite la fonction seconde de celle-ci relativement à ou bien en prenant la fonction prime de relativement à ensuite la fonction prime de celle-ci relativement à et enfin la fonction prime de cette dernière relativement à et ainsi des autres.

Il est évident que cette conclusion a lieu en général quelles que soient les variables indépendantes ou non.

75. Soit, par exemple,

on aura la fonction prime relativement à

et sa fonction prime relativement à sera

ensuite, la fonction prime de relativement à sera

et la fonction prime de relativement à sera

Quoique ces deux expressions de paraissent différentes, elles sont cependant identiques, car elles se réduisent l’une et l’autre à

Ensuite, en prenant la fonction prime de relativement à c’est-à-dire la fonction seconde de relativement à on aura

et, prenant maintenant la fonction prime de celle-ci relativement à on aura, après les réductions,

De même, en prenant la fonction prime de relativement à on trouvera

et ainsi de suite.

Il résulte de là que, afin que des fonctions données de et puissent être prises pour des fonctions dérivées d’une même fonction primitive, il faut qu’elles satisfassent à certaines conditions.

Ainsi, si et représentent des fonctions données de pour qu’on puisse supposer

il faudra que l’on ait

Et, en général, pour qu’on puisse supposer

il faudra que l’on ait

Par exemple, si

on pourra supposer

car on trouve

mais on ne pourrait pas supposer

car alors il faudrait que

ce qui n’est pas.

76. En général, quel que soit le nombre des variables qui entrent dans une fonction, si l’on donne un accroissement à chacune de ces variables, et qu’on développe la fonction suivant les dimensions formées par ces différents accroissements, qu’on développe ensuite de la même manière les fonctions produites par le premier développement, et ainsi de suite, il règne entre ces différents développements une loi que nous allons exposer d’une manière générale, parce qu’elle peut être utile dans quelques occasions.

Soit une fonction de plusieurs variables indépendantes supposons que, par la substitution de à la place de et par le développement suivant les puissances et les produits de cette fonction devienne

Je dénote par la somme de tous les termes où les quantités seront à la première dimension, par la somme de tous les termes où ces mêmes quantités formeront deux dimensions, et ainsi de suite.

Supposons, de plus, qu’en faisant la même substitution et le même développement dans les fonctions elles deviennent

où je dénote par les rangs successifs des termes du développement de de manière que, puisque les quantités, sont à la première dimension dans elles formeront deux dimensions dans trois dimensions dans et ainsi des autres. Par cette notation, on voit qu’en général la quantité désignée par renfermera tous les termes du développement de où les quantités formeront dimensions.

Cela posé, si l’on substitue d’abord dans la fonction elle deviendra

et, si l’on substitue ensuite, dans cette quantité, à la place de il est clair qu’elle deviendra

D’un autre côté, il est visible que ces deux substitutions successives équivalent à une substitution unique qu’on ferait dans la fonction en mettant

à la place de et qui donnerait, par le développement,

Ainsi, il faudra que ces deux développements soient identiques et que, par conséquent, les termes qui renferment les mêmes dimensions soient égaux de part et d’autre, quelle que soit d’ailleurs la quantité On aura donc les comparaisons suivantes :

Et, comparant encore les termes affectés des mêmes puissances de on tirera ces valeurs :

Donc, par les termes du premier développement général, on pourra avoir immédiatement ceux de tous les développements partiels suivants.

77. À l’imitation de ce que nous avons pratiqué pour les fonctions d’une seule variable, si l’on regarde comme une fonction de et on pourra dénoter par ces différentes fonctions dérivées, en appliquant à la lettre les mêmes traits qu’on appliquerait à la caractéristique de la fonction qu’on suppose représenter la valeur de et l’on nommera ces fonctions de la même manière.

Ainsi, devenant et devenant la quantité fonction de deviendra (no 73)

le terme général, de cette série étant, comme dans l’endroit cité,

À l’égard de la manière de trouver ces différentes fonctions, il est clair qu’il n’y a qu’à suivre les mêmes règles que pour les fonctions d’une seule variable, les traits supérieurs de la caractéristique indiquant l’ordre de la fonction dérivée relativement à seul et les traits inférieurs indiquant l’ordre de la fonction dérivée relativement à seul.

Ainsi, en prenant les fonctions primes de selon et on aura les valeurs de et et de là, en prenant encore les fonctions primes relativement à et à on aura les fonctions dérivées du second ordre et ainsi de suite.

Il est bon de remarquer ici que, pour les fonctions de deux variable, il y a deux fonctions dérivées du premier ordre et trois du second ordre de sorte que, pour l’ordre ième, il y aura un nombre de fonctions dérivées.

Comme nous distinguons ces fonctions dérivées par des traits supérieurs qui se rapportent à l’une des variables et par des traits inférieurs qui se rapportent à l’autre variable nous nommerons fonctions primes, secondes, etc., selon ou les fonctions marquées par de seuls traits supérieurs ou inférieurs, et nous nommerons simplement fonctions primo-primes, secundo-primes, primo-secondes les fonctions marquées à la fois par des traits supérieurs et inférieurs, en énonçant le trait supérieur le premier et l’inférieur le second.

On trouvera plus de détails sur ce sujet dans la Leçon XIX du Calcul des fonctions[1].


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  1. Œuvres de Lagrange, t. X.