Traité de la résolution des équations numériques de tous les degrés/Chapitre 5

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CHAPITRE V.

sur les racines imaginaires.


ARTICLE PREMIER.

Sur la manière de reconnaître si une équation a des racines imaginaires.

28. J’ai donné, dans le no 8, des formules générales pour déduire d’une équation quelconque une autre équation dont les racines soient les carrés des différences entre les racines de l’équation proposée. Or, si toutes les racines d’une équation sont réelles, il est évident que les carrés de leurs différences seront tous positifs ; par conséquent, l’équation dont ces carrés seront les racines, et que nous appellerons dorénavant, pour abréger, équation des différences, cette équation, dis-je, n’ayant que des racines positives, aura nécessairement les signes de ses termes alternativement positifs et négatifs ; de sorte que si cette condition n’a pas lieu, ce sera une marque sûre que l’équation primitive a nécessairement des racines imaginaires.

29. De plus, comme les racines imaginaires vont toujours deux à deux, et qu’elles peuvent se mettre sous la forme

et étant des quantités réelles (voir la Note IX), il s’ensuit que la différence de deux racines imaginaires correspondantes sera nécessairement de la forme de sorte que le carré de cette différence

sera c’est-à-dire une quantité réelle et négative. Donc, si l’équation proposée a des racines imaginaires, il faudra nécessairement que l’équation des différences ait au moins autant de racines réelles négatives qu’il y aura de couples de racines imaginaires dans la proposée.

30. Mais il est démontré (voir la Note VIII) qu’une équation quelconque ne saurait avoir plus de racines positives qu’elle n’a de changements de signes, ni plus de racines négatives qu’elle n’a de successions du même signe. Donc le nombre des racines imaginaires dans une équation quelconque ne pourra jamais être plus grand que le double de celui des successions de signe dans l’équ’ation des différences.

31. De là et de ce que nous avons dit ci-dessus, il s’ensuit que, si l’équation des différences a tous ses termes alternativement positifs et négatifs, l’équation primitive aura nécessairement toutes ses racines réelles ; sinon elle aura nécessairement des racines imaginaires. Ainsi l’on pourra toujours juger, par ce moyen, s’il y a ou non des racines imaginaires dans une équation quelconque donnée.

ARTICLE II.

Où l’on donne des règles pour déterminer dans certains cas le nombre des racines imaginaires des équations.

32. Soient

les racines réelles d’une équation quelconque, et

les racines imaginaires ; les carrés des différences de ces racines seront

lesquels seront, par conséquent, les racines de l’équation des différences.

Soit le degré de l’équation proposée, qui est égal au nombre des racines

celui de l’équation des différences sera (no 8)

Soit le nombre des racines réelles et celui des racines imaginaires

en sorte que il est facile de voir, par la Table précédente, que, parmi les racines de l’équation des différences, il y en aura nécessairement de réelles et positives, de réelles et négatives, et d’imaginaires.

33. Qu’on fasse maintenant le produit de toutes ces racines, et il est visible que le produit des racines positives sera toujours positif ; que celui des racines négatives sera positif ou négatif, suivant que le nombre sera pair ou impair ; qu’enfin le produit des racines imaginaires sera toujours positif ; en effet, ces dernières racines étant deux à deux de la forme

leurs produits deux à deux seront de la forme

et par conséquent positifs ; donc le produit de toutes ces racines ensemble sera toujours aussi positif.

Donc le produit total sera nécessairement positif ou négatif, suivant que sera pair ou impair.

Mais le dernier terme d’une équation est, comme l’on sait, égal au produit de toutes ses racines avec le signe ou suivant que le nombre des racines est pair ou impair.

Donc le dernier terme de l’équation des différences, dont le degré est sera nécessairement positif si et sont tous deux pairs ou tous deux impairs, et négatif si l’un de ces nombres est pair et l’autre impair.

34. Or, si et sont tous deux pairs ou impairs, sera nécessairement pair, et si et sont l’un pair et l’autre impair, sera nécessairement impair ; mais, à cause de

on a

de sorte que sera toujours pair ou impair, suivant que le sera.

Donc le dernier terme de l’équation des différences sera nécessairement positif ou négatif, suivant que le nombre sera pair ou impair, c’est-à-dire suivant que le nombre des combinaisons des racines réelles de la proposée, prises deux à deux, sera pair ou impair.

35. 1o Supposons que ce dernier terme soit positif, il faudra en ce cas que soit pair ; donc ou

ou

d’où il s’ensuit que, dans ce cas, le nombre des racines réelles de la proposée sera nécessairement multiple de si ce nombre est pair, c’est-à-dire si le degré de l’équation est pair ; ou multiple de plus si le degré de l’équation est impair. Ainsi il sera impossible que l’équation ait ou ou ou racines réelles.

2o Supposons que le dernier terme de l’équation des différences soit négatif ; il faudra alors que \frac{p(p-1)}{2} soit impair ; donc ou

ou

d’où il s’ensuit que, dans ce cas, le nombre des racines réelles de la proposée sera nécessairement multiple de plus si le degré de l’équation est pair, ou multiple de plus si ce degré est impair ; de sorte qu’il sera impossible que l’équation ait en ce cas ou ou ou ou racines réelles.

36. Ainsi, par l’inspection seule des signes de l’équation des différences, on sera en état de juger : 1o si toutes les racines de l’équation proposée sont réelles ou non ; 2o si le nombre des racines réelles est un de ceux-ci ou bien s’il est un de ceux-ci ce qui suffira pour déterminer le nombre des racines réelles, et des imaginaires dans les équations qui ne passent pas le cinquième degré, et dans toutes les équations où l’on saura d’avance que les racines imaginaires ne sauraient être plus de quatre.

Peut-être qu’en poussant plus loin cette théorie, on pourrait trouver des règles sûres pour déterminer le nombre des racines réelles dans les équations de degrés quelconques, les méthodes que l’on a proposées jusqu’à présent pour cet objet étant ou insuffisantes, comme celles de Newton, Maclaurin, etc., ou impraticables, comme celles de Stirling et de De Gua, qui supposent la résolution des équations des degrés inférieurs.

ARTICLE III

Où l’on applique la théorie précédente aux équations des second,
troisième et quatrième degrés
.

37. Soit l’équation proposée du second degré, comme

l’équation des différences sera du degré et l’on trouvera, par la méthode du no 8, que cette équation sera

où l’on aura

Ainsi les racines seront toutes deux réelles ou toutes deux imaginaires, suivant que l’on aura ou et elles seront égales lorsque

38. Soit proposée l’équation générale du troisième degré

l’équation des différences sera ici du degré et l’on trouvera par la même méthode

donc, pour que les racines soient toutes réelles, il faudra que l’on ait

1o
2o

Si l’une de ces deux conditions manque, l’équation aura deux racines imaginaires.

39. Soit maintenant proposée l’équation générale du quatrième degré

dont le second terme est évanoui, pour plus de simplicité le degré de l’équation des différences sera de sorte que cette équation sera

où l’on trouvera par la même méthode

donc, si la quantité

est négative, la proposée aura nécessairement deux racines réelles et deux imaginaires ; mais si cette quantité est positive, alors la proposée aura toutes ses racines réelles ou toutes imaginaires.

Or toutes les racines seront réelles si les valeurs de tous les coefficients sont positives ; donc elles seront toutes imaginaires si, le dernier coefficient étant positif, quelqu’un des autres se trouve négatif.

Supposons donc le coefficient positif, en sorte que l’on ait

et l’on trouvera que tous les autres coefficients seront aussi positifs si l’on a en même temps

et qu’au contraire quelqu’un d’eux deviendra nécessairement négatif si

Ainsi, dans le premier cas, les quatre racines de l’équation seront toutes réelles, et dans le second elles seront toutes imaginaires.

On pourrait de même trouver les conditions qui rendent les racines des équations du cinquième degré toutes réelles, ou en partie réelles et en partie imaginaires ; mais comme, dans ce cas, l’équation des différences monterait au degré le calcul deviendrait extrêmement prolixe et embarrassant.

ARTICLE IV.

Sur la manière de trouver les racines imaginaires d’une équations.

40. Nous avons vu, dans l’Art. II, que chaque couple de racines imaginaires correspondantes donne nécessairement dans l’équation des différences une racine réelle négative d’où il s’ensuit qu’en cherchant les racines réelles négatives de cette équation on trouvera nécessairement les valeurs de d’où l’on aura celles de à l’aide desquelles on pourra ensuite trouver les valeurs correspondantes de comme nous l’avons enseigné dans le no 17 ; de sorte qu’on aura, par ce moyen, l’expression de chaque racine imaginaire de l’équation proposée ; ce qui est souvent nécessaire, surtout dans le Calcul intégral. Voici seulement une observation qui peut servir à répandre un plus grand jour sur cette théorie, et à dissiper en même temps les doutes qu’on pourrait se former sur son exactitude et sa généralité.

41. Lorsque les parties réelles des racines imaginaires

sont inégales, tant entre elles qu’avec les racines réelles , il est évident, par la Table de l’Art. II, que l’équation des différences n’aura absolument d’autres racines réelles négatives que celles-ci de sorte que le nombre de ces racines sera le même que celui des couples de racines imaginaires dans l’équation proposée.

Mais s’il arrivé que, parmi les quantités il s’en trouve d’égales entre elles ou d’égales aux quantités , alors l’équation des différences aura nécessairement plus de racines négatives que la proposée n’aura de couples de racines imaginaires.

En effet, soit les deux racines imaginaires

deviendront et et par conséquent réelles négatives.

De sorte que, si l’équation proposée ne contient, par exemple, que les deux imaginaires

l’équation des différences contiendra, dans le cas de outre la

racine réelle négative encore ces deux-ci égales entre elles.

D’où l’on voit que, lorsque l’équation des différences a trois racines réelles négatives, dont deux sont égales entre elles, alors la proposée peut avoir ou trois couples de racines imaginaires, ou un seulement.

Si la proposée contient quatre racines imaginaires

alors l’équation des différences contiendra d’abord les deux racines réelles négatives ensuite, si elle aura encore ces deux-ci si elle aura de même ces deux autres-ci enfin, si l’on avait alors les quatre racines imaginaires

deviendraient

c’est-à-dire réelles négatives, ou égales deux à deux.

42. De là il est facile de conclure :

1o Que, lorsque toutes les racines réelles négatives de l’équation des différences sont inégales entre elles, alors la proposée aura nécessaireinent autant de couples de racines imaginaires qu’il y aura de ces racines.

Et, dans ce cas, nommant une quelconque de ces racines, on aura d’abord cette valeur étant ensuite substituée dans les deux équations (H) du no 17, on cherchera leur plus grand commun diviseur, en poussant la division jusqu’à ce que l’on parvienne à un reste où ne se trouve plus qu’à la première dimension et, faisant ce reste égal à zéro, on aura la valeur de correspondante à celle de par ee moyen, chaque racine négative donnera deux racines imaginaires

2o Que si, parmi les racines réelles négatives de l’équation des différences, il y en a d’égales entre elles, alors chaque racine inégale, s’il y en a, donnera toujours, comme dans le cas précédent, une couple de racines imaginaires ; mais chaque couple de racines égales pourra donner aussi deux couples de racines imaginaires, ou n’en donner aucune ainsi deux racines égales donneront ou quatre racines imaginaires ou aucune trois racines égales donneront ou six ou deux racines quatre racines égales donneront ou huit ou quatre racines imaginaires, et ainsi de suite.

43. Or soient, par exemple, et deux racines égales négatives de l’équation des différences ; on fera comme ci-dessus, et, substituant cette valeur de dans les équations (H) du numéro cité on cherchera leur commun diviseur en ne poussant la division que jusqu’à ce que l’on parvienne à un reste où ne se trouve qu’à la seconde dimension, à cause que la valeur de est double, comme nous l’avons déjà remarqué dans l’endroit cité.

Ainsi, faisant ce reste égal à zéro, on aura pour la détermination de une équation du second degré, laquelle aura, par conséquent, ou deux racines réelles ou deux imaginaires.

Dans le premier cas, nommant ces deux racines et on aura les quatre racines imaginaires

dans le second cas, les valeurs de étant imaginaires contre l’hypothèse, ce sera une marque que les deux racines égales ne donneront point de racines imaginaires de la proposée.

44. S’il y avait dans l’équation des différences trois racines égales et négatives alors, faisant on poussera seulement la division des équations jusqu’à ce que l’on parvienne à un reste où se trouve à la troisième dimension ; de sorte que, ce reste étant fait égal à zéro, on aura une équation du troisième degré en d’où l’on tirera ou trois valeurs réelles de ou une réelle et deux imaginaires ; dans le premier cas, on aura six racines imaginaires ; dans le second, on n’en aura que deux, les valeurs imaginaires de devant toujours être rejetées comme contraires à l’hypothèse et ainsi de suite.


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