Traité de la résolution des équations numériques de tous les degrés/Note 13

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NOTE XIII.

SUR LA RÉSOLUTION DES ÉQUATIONS ALGÉBRIQUES.


La résolution des équations du second degré se trouve dans Diophante et peut aussi se déduire de quelques propositions des Data d’Euclide ; mais il paraît que les premiers algébristes italiens l’avaient apprise des Arabes. Ils ont résolu ensuite les équations du troisième et du quatrième degré ; mais toutes les tentatives qu’on a faites depuis pour pousser plus loin la résolution des équations n’ont abouti qu’à faire trouver de nouvelles méthodes pour le troisième et le quatrième degré, sans qu’on ait pu entamer les degrés supérieurs, si ce n’est pour des classes particulières d’équations, telles que les équations réciproques, qui peuvent toujours s’abaisser à un degré moindre de la moitié, celles dont les racines sont semblables aux racines des équations du troisième degré et que Moivre a données le premier, et quelques autres du même genre.

1. Dans les Mémoires de l’Académie de Berlin (années 1770 et 1771)[1], j’ai examiné et comparé les principales méthodes connues pour la résolution des équations algébriques, et j’ai trouvé que ces méthodes se réduisent toutes, en dernière analyse, à employer une équation secondaire qu’on appelle résolvante, dont la racine est de la forme

en désignant par les racines de l’équation proposée, et par une des racines de l’unité, du même degré que celui de l’équation.

Je suis ensuite parti de cette forme générale des racines, et j’ai cherché a priori le degré de l’équation résolvante et les diviseurs qu’elle peut avoir, et j’ai rendu raison pourquoi cette équation, qui est toujours d’un degré plus haut que l’équation donnée, est susceptible d’abaissement pour les équations du troisième et du quatrième degré et peut servir à les résoudre.

J’ai cru qu’un précis de cette théorie ne serait pas déplacé dans le présent Traité, non-seulement parce qu’il en résulte une méthode uniforme pour la résolution des équations des quatre premiers degrés, mais encore parce que cette méthode s’applique avec succès aux équations à deux termes, de quelque degré qu’elles soient.

2. Représentons l’équation proposée par la formule générale

et désignons ses racines par on aura, par les propriétés connues des équations,

Soit l’inconnue de l’équation résolvante ; nous ferons, d’après ce que nous venons de dire,

la quantité étant une des racines ièmes de l’unité, c’est-à-dire une des racines de l’équation à deux termes

Pour avoir l’équation en il faudra éliminer les inconnues au moyen des équations précédentes, qui sont aussi au nombre de mais ce procédé exigerait de longs calculs, et aurait, de plus, l’inconvénient de conduire à une équation finale d’un degré plus haut qu’elle ne devrait être.

3. On peut parvenir directement et de la manière la plus simple à l’équation dont il s’agit, en employant la méthode dont nous avons fait un fréquent usage jusqu’ici, laquelle consiste à trouver d’abord la forme de toutes les racines de l’équation cherchée, et à composer ensuite cette équation par le moyen de ses racines.

Il est d’abord clair que, dans l’expression de on peut échanger entre elles à volonté les racines puisque rien ne les distingue jusqu’ici l’une de l’autre ; d’où il suit qu’on aura toutes les différentes valeurs de en faisant toutes les permutations possibles entre les racines et ces valeurs seront nécessairement les racines de la réduite en qu’il s’agit de construire.

Or on sait, par la théorie des combinaisons, que le nombre des permutations qui peuvent avoir lieu entre choses est exprimé en général par le produit donc l’équation en aura en général autant de racines qu’il y a d’unités dans ce nombre, et sera par conséquent d’un degré exprimé par le nombre mais nous allons voir que cette équation est susceptible d’abaissement par la forme même de ses racines.

Comme cette forme dépend de la quantité qu’on suppose être une racine de l’équation nous commencerons par quelques remarques sur les propriétés des racines de cette équation, et, pour cela, nous considérerons séparément les cas où l’exposant est un nombre premier et celui où cet exposant est un nombre composé.

4. Supposons d’abord que le nombre soit premier. Dans ce cas, toutes les puissances de jusqu’à auront des valeurs différentes, à moins que l’on n’ait car, si deux puissances et étaient égales, on aurait et de là or, aucune puissance de moindre que ne peut être tant que n’est pas En effet, puisque si l’on avait en même temps étant il faudrait que ces deux équations eussent une racine commune ; et, en cherchant par les règles ordinaires le plus grand commun diviseur des deux quantités et on trouve nécessairement pour ce diviseur, à cause que est un nombre premier, de sorte que la racine commune aux deux équations et ne peut être que l’unité.

5. Il s’ensuit de là : 1o que les puissances représentent toutes les racines de l’équation en prenant pour une quelconque des racines de cette équation, autre que l’unité ; car, puisque on aura aussi de sorte que les puissances seront aussi des racines de la même équation, et, comme elles sont au nombre de et ont toutes des valeurs différentes, elles donneront nécessairement toutes les racines de l’équation

6. Il s’ensuit aussi : 2o que, si dans la série des puissances on substitue pour une quelconque de ces puissances ; comme étant la nouvelle série en rabaissant toutes les puissances au-dessous de à cause de contiendra encore les mêmes puissances, mais dans un ordre différent ; car il est visible que tous les exposants sont différents et que leurs restes de la division par le sont aussi, parce que est un nombre premier ; de sorte que ces restes, étant au nombre de et tous différents entre eux, ne peuvent être que les nombres

7. Considérons maintenant le cas où est un nombre composé. Dans ce cas, si est un diviseur de toutes les racines de l’équation seront communes à l’équation parce qu’en supposant le nombre racine de l’équation on aura et par conséquent aussi de sorte que sera aussi racine de l’équation En faisant donc on aura et, si il est visible que dans la série des puissances chacune se trouvera répétée fois ; par conséquent, ces puissances ne pourront plus représenter toutes les racines de l’équation parce que cette équation ne peut avoir de racines égales.

8. Soit et étant deux nombres premiers, et soient une des racines de l’équation et une des racines de l’équation il est clair que et seront aussi racines de l’équation parce que, et étant on aura aussi mais toutes les racines de l’équation ne pourront pas être représentées par les puissances successives de ces racines et

On voit aussi que le produit sera racine de la même équation mais aucune puissance de cette racine, dont l’exposant serait inférieur à ne pourra être égale à l’unité, à moins que ou ne soit car il faudrait que l’exposant de cette puissance fût un diviseur de et par conséquent égal à ou à on aurait donc ou Dans le premier cas, on aurait à cause de (hyp.), et, comme on a déjà (hyp.), il en résulterait à cause que et sont premiers entre eux ; dans le second cas, on aurait

9. Ainsi, tant que et sont différents de l’unité, la racine de l’équation a, lorsque la même propriété que la racine lorsque est un nombre premier, savoir, que toutes les racines de cette équation peuvent être représentées par les puissances successives de

10. Comme les valeurs de sont au nombre de et celles de au nombre de les valeurs de seront au nombre de c’est-à-dire de et il est facile de prouver que ces valeurs seront toutes différentes entre elles, parce qu’elles peuvent être représentées par en faisant successivement et à cause que les nombres et sont supposés premiers ; d’où il suit que toutes les racines de l’équation étant peuvent être représentées par les produits des racines des équations et étant des nombres premiers.

On prouvera de même que, si en supposant des nombres premiers, et que soient respectivement des racines quelconques des trois équations le produit en donnant successivement à toutes leurs valeurs, pourra représenter toutes les racines de l’équation et que celles de ces racines qui seront exprimées par en excluant l’unité des valeurs de auront les mêmes propriétés que les racines de l’équation lorsque est un nombre premier.

Et ainsi de suite.

11. Mais, si l’on avait étant un nombre premier, en prenant pour une quelconque des racines de l’équation il est clair que serait aussi racine de l’équation et que le serait aussi. On prendrait donc, dans ce cas, pour une quelconque des valeurs de et l’on aurait également pour l’expression de toutes les racines de

De même, si en conservant les valeurs de et on ferait de plus et l’on aurait pour l’expression de toutes les racines de en donnant successivement à toutes leurs valeurs. Et ainsi de suite.

12. Donc, en général, si et que soient respectivement des racines quelconques des équations

étant des nombres premiers ; si l’on fait de plus

on aura

pour l’expression générale des racines de l’équation en donnant successivement à toutes les valeurs dont ces quantités sont susceptibles chacune en particulier.

On voit par là que, pour avoir les racines de l’équation à deux termes lorsque n’est pas un nombre premier, il suffit de résoudre des équations semblables des degrés dont les exposants soient les nombres premiers qui composent le nombre

13. Enfin nous remarquerons que, comme l’équation manque de tous les termes intermédiaires, si l’on nomme ses racines, on aura, par les formules générales données au commencement de la Note VI,

ensuite, à cause de on aura

et ainsi de suite.

Ces différentes remarques nous seront fort utiles dans la suite.

14. Ces préliminaires posés, considérons la fonction

dans laquelle sont les racines de l’équation proposée du degré et est une racine quelconque de l’équation de manière que l’on ait

On voit d’abord que cette expression est une fonction invariable des quantités et qu’ainsi le résultat des permutations des racines entre elles sera le même que celui des puissances de entre elles.

15. Il s’ensuit de là que sera le résultat des permutations simultanées de en en en à cause de De même, sera le résultat des permutations simultanées de en en en et en à cause de et ainsi de suite.

Donc, étant une des racines de l’équation résolvante en seront aussi des racines de la même équation, par conséquent, l’équation en devra être telle qu’elle ne change pas en y changeant en en en en d’où il est facile de conclure d’abord que cette équation ne pourra contenir que des puissances de dont les exposants soient multiples de .

Si donc on fait on auraune équation en qui ne sera que du degré et dont les racines seront les différentes valeurs de résultant des permutations des racines entre elles.

16. L’expression de sera, à cause de de la forme

dans laquelle les quantités seront des fonctions déterminées de lesquelles auront en général la propriété d’être invariables par les permutations simultanées de en en en de en en en en et ainsi de suite, ce qui suit de ce que est également

Lorsque les quantités seront connues, on aura tout de suite les valeurs de toutes les racines de la proposée ; car, puisque on aura et, si l’on dénote par les racines de l’équation et qu’on dénote aussi par les valeurs de qui répondent à la substitution successive de à la place de dans l’expression de , on aura, à cause de

les équations suivantes

Ces équations, étant ajoutées ensemble, donneront d’abord, par les propriétés des racines (no 13),

Ensuite, si on les multiplie respectivement par et qu’on les ajoute de nouveau ensemble, on aura, par les mêmes propriétés,

On trouverait de la même manière

et ainsi de suite.

17. Nous remarquerons sur ces formules que le terme étant égal à la somme des racines, est donné immédiatement par l’équation, de sorte qu’on a (no 2), équation nécessairement identique, et qui pourrait servir, s’il en était besoin, à s’assurer de la bonté du calcul.

Il s’ensuit de là aussi que, comme en faisant on aura

et par conséquent

valeur qui, étant substituée dans l’expression générale de , la réduira à cette forme plus simple

et l’on aura les valeurs de en mettant les racines de l’équation

à la place de (no 16).

18. La difficulté se réduit donc à trouver les valeurs des quantités qui entrent dans l’expression de lorsqu’elles ne sont pas données immédiatement. Dans cette recherche, il convient de distinguer le cas où l’exposant est un nombre premier de ceux où est un nombre composé.

Supposons d’abord que soit un nombre premier ; nous avons démontré ci-dessus (no 6) qu’alors, en prenant pour une racine quelconque de l’équation autre que l’unité, si dans la série des puissances on substitue à la place de une quelconque de ces mêmes puissances, on retrouvera toujours la même série de puissances, seulement dans un ordre différent. Or il est visible que, dans la fonction le changement de en répond aux substitutions simultanées de à à que le changement de en répondra aux substitutions simultanées de à à et ainsi de suite. Donc les changements successifs de en répondront à autant de permutations où prendra la place de ce qui fait permutations, dont chacune pourra ensuite être combinée avec toutes les permutations possibles entre les autres racines

Il en sera donc de même de la fonction et, comme dans cette fonction les changements de en répondent à des substitutions de à à correspondantes à celles de à à dans la fonction il est facile d’en conclure que les quantités seront les racines d’une équation en du degré dont les coefficients seront des fonctions de qui ne seront susceptibles que d’autant de valeurs différentes qu’il y aura de permutations entre les racines c’est-à-dire de valeurs, et dépendront par conséquent d’équations du degré

19. On peut même démontrer que tous ces coefficients ne dépendront que d’une seule équation de ce même degré, car, si l’on représente par

l’équation en dont sont les racines, en faisant dans les fonctions les permutations entre les racines on aura autant de pareilles équations qui, étanttmultipliées ensemble, donneront une équation finale en du degré dans laquelle les coefficients seront des fonctions invariables des racines et par conséquent déterminables par les coefficients de l’équation proposée.

L’équation

sera donc un diviseur de celle-ci ; faisant la division à la manière ordinaire et égalant à zéro les termes du reste, on aura autant d’équations, dont les premières donneront les valeurs de en fonctions rationnelles de Ainsi il suffira de trouver l’équation en du degré

Si donc cette équation pouvait se résoudre, et il suffirait d’en connaître une seule racine, on aurait les valeurs des coefficients de l’équation en qui est d’un degré moindre d’une unité que la proposée, et dont les racines seraient les valeurs des quantités qui entrent dans l’expression de

20. Mais, au lieu de chercher les racines il pourrait être plus simple de chercher directement Il est clair que ces quantités seront les racines d’une équation en du ième degré, qu’on trouvera en éliminant de l’expression de au moyen de l’équation

après en avoir ôté la racine c’est-à-dire de l’équation

Cette équation en sera ainsi débarrassée de la racine et ses coefficients exprimés par les quantités étant considérés comme fonctions des racines ne seront susceptibles que de variations par toutes les permutations possibles entre

ces racines ; car, comme les changements de place de répondent aux substitutions de au lieu de et que la quantité a disparu de l’équation en il s’ensuit que, dans l’expression de ses coefficients, on pourra regarder comme fixe, ainsi que

Sans employer la voie de l’élimination, on pourra parvenir, directement à cette équation en au moyen de ses racines dont l’expression est connue car, en représentant cette équation par

on aura, par les formules connues,

21. On pourra faciliter beaucoup la détermination de ces coefficients en les déduisant des sommes des puissances successives des racines jusqu’à la ième puissance. En effet, si l’on élève successivement le polynôme

aux puissances 2ième, 3ième, …, et qu’on dénote par les termes de ces puissances qui ne seront point affectés de la quantité après avoir substitué partout pour pour et ainsi des autres ; que, de plus, on fasse pour l’uniformité

en sorte que les quantités répondent aux racines il est facile de voir qu’on aura, par les propriétés de ces racines exposées plus haut, pour les sommes des puissances 1ère, 2ième, 3ième, … des quantités

Or (no 17) ; donc, si l’on retranche respectivement des quantités les puissances de les restes sont les sommes des racines de leurs carrés, de leurs cubes, etc., d’où l’on tirera les sommes de leurs produits deux à deux, trois à trois, etc., par les formules données dans le Chapitre I (no 8), ainsi qu’il suit :

22. Maintenant, si l’on fait dans les expressions des coefficients en toutes les permutations possibles entre ces racines on ne trouvera pour chacun de ces coefficients que permutations, provenant uniquement des permutations entre les racines

Ainsi, on aura pour la détermination de une équation de ce même degré, qu’on pourra former par le moyen de ses racines ; ensuite on trouvera les valeurs des autres coefficients en fonctions rationnelles de par la méthode donnée plus haut, relativement aux coefficients de l’équation en (no 19).

Le problème se trouvera donc réduit à la résolution de l’équation en du degré laquelle sera toujours d’un degré plus haut que la proposée lorsque sera au-dessus de Il est possible que cette équation puisse être abaissée à un degré moindre, mais c’est de quoi il me paraît très-difficile, sinon impossible, de juger a priori.

23. À l’égard des racines comme elles sont avec l’unité les racines de l’équation

si l’on divise cette équation par pour en éliminer la racine on aura l’équation du degré

dont seront les racines.

Cette équation est d’abord, comme l’on voit, d’un degré moindre d’une unité que l’équation proposée ; mais, étant d’une forme convertible, elle peut toujours s’abaisser à un degré moindre de la moitié ; de plus, par la belle découverte de M. Gauss, on peut la résoudre à l’aide d’autant d’équations qu’il y a de facteurs premiers dans et qui ne montent qu’aux degrés marqués par ces facteurs. On peut même la résoudre directement sans passer par aucune équation intermédiaire, comme on le verra dans la Note suivante.

24. Nous avons supposé (no 18) que l’exposant du degré de l’équation est un nombre premier ; considérons maintenant le cas où cet exposant est un nombre composé. Dans ce cas, nous avons vu que les racines de l’équation sont de deux espèces les unes sont communes à l’équation étant un diviseur de et leurs puissances ne peuvent pas représenter toutes les racines de l’équation primitive, parce qu’elles n’ont de valeurs différentes que jusqu’aux puissances après quoi les mêmes valeurs reviennent toujours dans le même ordre ; les autres n’appartiennent qu’à l’équation et jouissent des mêmes propriétés que les racines de cette équation lorsque est un nombre premier. Ainsi, il faudrait d’abord borner le raisonnement du no 18 aux seules racines, qui sont propres à l’équation et modifier en conséquence les conclusions que nous en avons déduites relativement à l’équation en De plus, en n’employant même que ces racines pour on ne peut pas dire que la substitution d’une puissance quelconque de à la place de dans la série redonne toujours les mêmes termes, parce que, si la substitution de pour ne donnera jamais que les puissances à cause de Il résulte de là que les quantités ne pourront plus être les racines d’une même équation, mais devront dépendre d’équations différentes qu’il_ faudrait chercher séparément, ce qui allongerait le calcul.

Mais, en employant les racines communes à l’équation la méthode générale se simplifie et la résolution du degré se réduit à celle d’autant d’équations des degrésinférieurs que l’exposant a de facteurs premiers ; c’est ce que nous allons développer.

25. Supposons donc que l’équation ait un diviseur nous avons vu [(no  7) que toutes les racines de l’équation sont communes à l’équation ainsi, dans la fonction

nous pourrons prendre pour une des racines de l’équation On aura alors

jusqu’à et l’expression de se réduira à cette forme plus simple

en faisant, pour abréger,

Regardant maintenant les quantités n) comme les racines d’une équation du degré il est clair qu’on pourra appliquer à la fonction les mêmes raisonnements qu’on a faits dans les nos 15 et 16, et qu’on parviendra à des conclusions semblables.

Ainsi, en faisant on aura, à cause de une expression de de la forme

dans laquelle les quantités seront des fonctions connues de lesquelles auront la propriété d’être invariables par les échanges simultanés de en en en

Connaissant ces quantités, on aura immédiatement les valeurs des racines par des formules semblables à celles du no 16.

Ainsi, en prenant pour les racines de l’équation et supposant que soient les valeurs de qui répondent à on aura

où l’on remarquera que le terme est toujours égal à la somme des racines, qui est ici

On n’aura encore par là que les racines pour avoir les racines primitives il n’y aura qu’à regarder séparément celles qui composent chacune des quantités comme les racines d’une équation du degré égal au nombre de ces racines et y appliquer la même méthode.

26. Lorsque est un nombre premier, ce qu’on peut toujours supposer en prenant pour un des facteurs premiers du nombre les quantités seront, comme dans le no 18, les racines d’une équation du degré dont les coefficients dépendront d’une équation du degré Cette dernière équation aura pour coefficients des fonctions rationnelles de ceux de l’équation en dont sont les racines. Or ceux-ci ne sont pas connus ; il n’y a que ceux de l’équation donnée dont sont les racines qui le soient ; il s’agit donc de voir comment ceux-là pourront dépendre de ceux-ci.

Il est clair que, en substituant pour leurs valeurs en les coefficients dont il s’agit deviendront des fonctions connues des racines et, pour trouver les équations d’où ces fonctions dépendront, la difficulté se réduira à chercher de combien de valeurs différentes ces fonctions seront susceptibles par toutes les permutations possibles entre les racines

27. Le nombre total des permutations entre ces racines est en général mais, s’il y a des permutations qui ne produisent aucun changement dans les fonctions dont il s’agit, il faudra diviser par le nombre de ces permutations le nombre total des permutations, parce que chaque permutation se combinant avec toutes les autres ne s’ajoute pas aux autres, mais les multiplie.

Or les racines qui entrent dans l’expression de et qui sont au nombre de à cause de sont susceptibles de permutations ; mais, comme elles entrent dans sous une forme invariable, leurs permutations ne produisent aucun changement dans la valeur de par conséquent, on aura d’abord le diviseur

L’expression de étant dans le même cas, donnera de nouveau le diviseur de sorte qu’on aura le diviseur à raison des deux fonctions et par la même raison, les trois fonctions donneront le diviseur et les fonctions donneront par conséquent le diviseur

Enfin les quantités sont susceptibles en elles-mêmes de permutations, et, comme les coefficients de l’équation en sont des fonctions invariables de ces quantités, il en résultera encore le nouveau diviseur

D’où l’on peut conclure que les coefficients de cette équation, regardés comme des fonctions des racines ne seront susceptibles que de

valeurs différentes, et ne dépendront par conséquent que d’une équation de ce degré.

Ainsi, les coefficients de l’équation du degré qui sont des fonctions rationnelles de ceux de l’équation en dépendront d’une équation de ce degré.

Donc, en donnant à ces coefficients toutes les valeurs qui répondent aux racines de cette dernière équation, et multipliant ensemble toutes les équations résultantes, on aura enfin une équation du degré

ce sera l’équation d’où dépendront les coefficients de l’équation en du degré dont les racines seront les valeurs de Ainsi, on peut dire que c’est à une équation de ce degré que la résolution de l’équation proposée se réduira en dernière analyse.

28. Pour achever la résolution de l’équation proposée en il faudra encore tirer les valeurs de ses racines de celles des racines (no 25). Pour cela, on regardera les racines qui composent la valeur de comme étant les racines d’une équation du ième degré et qui sera de cette forme

dans laquelle les coefficients seront inconnus ; mais, comme cette équation est censée renfermer des racines de l’équation proposée

elle devra être un diviseur de celle-ci ; par conséquent, il n’y aura qu’à faire la division ordinaire, en supposant nuls les termes affectés de dans le reste. On aura, par ce moyen, équations en dont les premières donneront les valeurs de en par des équations linéaires. Ainsi, étant connu, on aura aussi et il ne s’agira plus que de résoudre cette

équation du degré De même, en substituant la valeur de à la place de celle de on aura l’équation qui donnera les racines et ainsi de suite.

29. On voit par là que cette dernière méthode revient à décomposer l’équation du degré en équations du degré mais, si pour cette décomposition on suivait la méthode ordinaire, il faudrait résoudre une équation du degré

comme nous l’avons vu dans la Note X, au lieu que celle-ci ne demande que la résolution du degré

qui est toujours moindre que le précédent.

Soit ces degrés seront

Soit on aura

et, si l’on fait on aura

et ainsi du reste.

30. Appliquons la théorie précédente aux équations du second, du troisième et du quatrième degré.

Soit d’abord l’équation du second degré

dont les racines soient et

On a ici qu’on peut regarder comme un nombre premier ; prenant pour une racine de l’équation

on fera

d’où l’on déduit

à cause de donc fonction invariable des racines et

En effet, on a et par conséquent Or l’équation

donne donc et (no 47) Ainsi les expressions des deux racines seront (nos 16, 17)

comme on le sait depuis longtemps.

31. Soit maintenant l’équation générale du troisième degré

dont les racines soient

On a ici nombre premier ; la fonction sera donc, en prenant pour une racine de

et la fonction sera, à cause de

où l’on aura

Les quantités seront donc les racines d’une équation du second degré, dont les coefficients dépendront d’une équation du degré c’est-à-dire du premier degré, et qui seront par conséquent des fonctions rationnelles de ceux de l’équation proposée. En effet on voit que, par toutes les permutations possibles entre les trois racines les deux fonctions restent les mêmes ou se changent l’une dans l’autre, de sorte qu’en les supposant racines de l’équation

on aura fonctions invariables de et par conséquent déterminables par les coefficients de la proposée.

En effet on trouve facilement, par les formules de la Note X (no 4),

Ainsi l’on n’aura à résoudre que l’équation du second degré

dont on prendra les deux racines pour les valeurs de et

Faisant ensuite (no 17)

et substituant, dans les formules du no 16, au lieu de et au lieu de (no 17), on aura

à cause de et par conséquent

Et les deux quantités seront (no 23) les racines de l’équation

laquelle donne

32. Mais on peut avoir des expressions plus simples par le moyen de l’équation en qui sera ainsi du second degré.

En représentant cette équation par

on trouvera les valeurs de et par les formules données plus haut (no 21).

On aura ainsi

est le premier terme dégagé de dans le développement de et l’on trouve, à cause de

Or on a (no 17)

donc, puisque on aura

et, substituant les valeurs de et trouvées ci-dessus, on aura

L’équation en sera donc

dont, les deux racines étant prises pour et et substituées dans les expressions précédentes de on aura la résolution la plus simple de l’équation du troisième degré.

33. Venons à l’équation du quatrième degré représentée par la formule

Comme on a ici il est plus simple de suivre la méthode du no 25 ; en faisant on prendra pour une racine de l’équation

en sorte que On fera ainsi

De là, on aura

Ainsi l’équation en , dont est racine, ne sera que du degré c’est-à-dire du premier degré, et ses coefficients ne dépendront que d’une équation du degré (no 27), de sorte qu’on aura en une équation du troisième degré, telle que

Les racines de cette équation seront les valeurs de

qui proviendront des permutations entre les trois racines, et il est facile de voir en effet que ces valeurs ne seront que les trois suivantes :

D’après ces racines, on pourra former les coefficients qui se

trouveront exprimés par des fonctions invariables de et seront déterminables en

34. Pour faciliter cette recherche, nous remarquerons que l’on a, par l’équation proposée,

d’où il suit que, si l’on fait l’équation en se transformera en une équation en dont les racines seront

Soit

et l’on trouvera de la même manière, en employant les formules données dans la Note X, les valeurs suivantes :

Désignons par une quelconque des racines de l’équation en

on aura et de là, en faisant et on aura

et enfin

35. Maintenant, comme on peut regarder et comme les deux racines de l’équation du second degré (no 28)

et, pour avoir il n’y aura qu’à diviser l’équation proposée du quatrième degré par celle-ci ; le premier terme du reste, égalé à zéro, donnera

Ainsi, en résolvant l’équation du second degré, on aura

et, comme on aura les racines en changeant dans ces expressions en ce qui ne demande que de changer le signe du radical

Cette solution revient à celle de Descartes, dans laquelle on résout l’équation du quatrième degré en deux du deuxième, moyennant une du troisième.

36. On peut simplifier ces formules en substituant d’abord à la place de ce qui donnera cette équation en

dont sera une quelconque des racines à volonté ; mais, en employant les trois racines, on peut avoir tout d’un coup les quatre racines

Car, en faisant on a

et, par conséquent,

Cette expression de n’est en effet susceptible que de ces trois valeurs différentes

qui seront, par conséquent, les trois racines de l’équation en

Nommons les trois racines de cette équation ; on aura donc ces trois équations

qui, étant jointes à l’équation

laquelle répond à serviront à déterminer chacune des quatre racines et l’on trouvera

37. Cette solution, la plus simple de toutes, est due à Euler ; mais elle présente une espèce d’ambiguïté, à cause des radicaux carrés qui peuvent être pris chacun en plus et en moins. En effet on voit que, en changeant le signe d’un quelconque de ces radicaux ou les signes des trois radicaux à la fois, on a un autre système de racines, représenté par les formules

Au contraire, en ne changeant à la fois que les signes de deux des radicaux, on a toujours le même système de racines. Ainsi, pour savoir lequel des deux systèmes il faut employer, il n’y a qu’à déterminer le signe que doit avoir le produit

Or l’équation en donne

donc, extrayant la racine carrée,

et, remettant pour leurs valeurs en

Pour déterminer le signe ambigu, il n’y a qu’à considérer un cas particulier, par exemple, celui où les trois racines sont nulles. Dans ce cas, on aura et l’équation précédente deviendra

par où l’on voit qu’il faut prendre le signe supérieur pour la rendre identique. Ainsi on aura nécessairement

d’où l’on doit conclure que, lorsque la quantité

aura une valeur positive, il faudra employer le premier système des racines, et que, lorsque cette quantité aura une valeur négative, il faudra employer le second système, en donnant toujours aux radicaux une valeur positive[2].

38. Passé le quatrième degré, la méthode, quoique applicable en général, ne conduit plus qu’à des équations résolvantes de degrés supérieurs à celui de la proposée.

Pour le cinquième degré, soit la formule générale

dont les racines soient

On aura ici nombre premier, et l’on fera

est une des racines de l’équation

autre que l’unité.

On fera ensuite et l’on parviendra à une équation en du

degré mais qui sera décomposable en équations chacune du quatrième degré, de manière que, en représentant chacune de ces équations par la formule

les coefficients ne seront susceptibles chacun que de six valeurs différentes par toutes les permutations possibles entre les cinq racines dont ces coefficients sont fonctions, et ces six valeurs ne dépendront par conséquent que d’une équation du sixième degré ; de sorte qu’en dernière analyse la résolution de l’équation du cinquième degré serait réduite à celle d’une équation du sixième. Il est donc inutile d’entreprendre ce calcul, dont on peut au reste voir le commencement dans les Mémoires de l’Académie de Berlin (année 1771, p. 130 et suiv.)[3].

39. Nous n’avons considéré jusqu’ici que des fonctions résolvantes de la forme mais les principes que nous avons

employés pour trouver directement l’équation dont ces fonctions seraient les racines peuvent s’appliquer à toute autre fonction des racines de l’équation proposée. Il ne s’agit que de chercher toutes les différentes formes dont la fonction proposée est susceptible par toutes les permutations des racines entre elles, et former une équation qui ait toutes ces différentes formes pour racines. Les coefficients de cette équation, étant des fonctions invariables de ses racines, seront aussi des fonctions invariables des racines de la proposée et pourront, par conséquent, se déterminer par des fonctions rationnelles des coefficients de celles-ci, qu’on trouvera toujours par les formules données dans la Note X.

On pourrait croire que chaque fonction différente des racines d’une même équation dépendrait aussi d’une équation différente ; cela a lieu, en effet, pour toutes les fonctions qui ne sont pas semblables, mais pour celles que j’appelle semblables, et dont la propriété consiste en ce que, par les mêmes permutations, elles varient ensemble ou demeurent les mêmes, on peut les faire dépendre toutes d’une même équation, parce qu’on peut toujours les exprimer par des fonctions rationnelles d’une quelconque d’entre elles.

J’ai donné dans les Mémoires de l’Académie de Berlin de l’année 1771 (p. 203 et suiv.)[4] une méthode générale pour la détermination des fonctions semblables des racines d’une équation quelconque donnée ; je ne la rapporterai point ici, pour ne pas trop allonger cette Note.

40. Mais je ne saurais la terminer sans dire un mot du beau travail que feu Vandermonde a donné dans les Mémoires de l’Académie des Sciences de Paris (année 1771) sur la résolution générale des équations. Son Ouvrage et le mien ont été composés et lus à peu près en même temps, l’un à l’Académie des Sciences de Paris et l’autre à celle de Berlin. Vandermonde, en partant d’un principe général, est arrivé à des résultats semblables à ceux auxquels m’avait conduit l’examen des différentes méthodes connues jusqu’alors. Comme ce rapprochement est intéressant pour l’analyse, on sera bien aise de les trouver ici.

Le principe dont il s’agit est que l’expression analytique des racines d’une équation doit être une fonction de ces racines, telle qu’elle puisse égaler indifféremment chacune des racines, et qui ne soit qu’une fonctian de leur somme, de la somme de leurs produits deux à deux, de celle de leurs produits trois à trois, et ainsi de suite, afin que cette fonction puisse en même temps se déterminer par les seuls coefficients de l’équation donnée.

41. En examinant, conformément à ce principe, la résolution connue de l’équation du second degré, Vandermonde observe que la fonction qui donne cette résolution est de la forme

et étant les deux racines de l’équation. En effet, à cause de l’ambiguïté du radical carré, cette expression devient indifféremment ou et, en même temps, les deux quantités et sont exprimables par les coefficients de l’équation

car on a

ce qui donne la résolution connue

L’auteur applique ensuite le même principe aux équations du troisième degré, et il trouve que la fonction qui donne leur résolution peut se réduire à la forme

sont les trois racines de l’équation, et les valeurs qui satisfont avec l’unité à l’équation

En effet, cette expression devient d’abord égale à à cause de ensuite, comme chaque radical cube peut être multiplié par ou la même expression deviendra ou en multipliant les deux radicaux par et ou par et à cause de (no 5). De là Vandermonde conclut que, pour un nombre quelconque de racines, la fonction qui deviendra indifféremment ou ou etc. sera de la forme

étant avec l’unité les racines de l’équation

Si l’on compare cette expression à celle de la racine du no 16, on verra facilement leur accord, en considérant que est en général (no 15), et que sont les valeurs de qui répondent aux racines de l’équation

lesquelles sont désignées par dans l’analyse de Vandermonde, et que, lorsque est un nombre premier, toutes les racines sont représentées également par par (no 5).

Pour déterminer les valeurs de en fonctions des coefficients de l’équation donnée, en quoi consiste toute la difficulté du problème, l’Auteur emploie un algorithme ingénieux, fondé sur une notation particulière il ne cherche pas a priori, comme nous l’avons fait, le degré de l’équation d’où cette détermination doit dépendre, mais il donne pour les équations du troisième et du quatrième degré leur résolution complète, et pour celles du cinquième et du sixième degré des formules générales qu’il appelle types, et qui font voir que la résolution de l’équation du cinquième degré dépend en dernière analyse d’une équation du sixième et que la résolution de celle-ci dépend de celle d’une équation du quinzième ou du dixième degré, comme nous l’avons trouvé.

42. Vandermonde a aussi remarqué les simplifications dont la formule générale des racines est susceptible dans les degrés dont l’exposant est un nombre composé ; par exemple, il trouve que, pour les équations du quatrième degré, les racines peuvent être représentées par la fonction

en prenant les radicaux carrés en plus et en moins, et il en déduit la résolution donnée plus haut (no 36).

Comme la méthode de Vandermonde découle d’un principe fondé sur la nature des équations, et qu’à cet égard elle est plus directe que celle que nous avons exposée dans cette Note, on peut regarder les résultats communs de ces méthodes sur la résolution générale des équations qui passent le quatrième degré comme des conséquences nécessaires de la théorie générale des équations.


Séparateur

  1. Œuvres de Lagrange, t. III, p. 205.
  2. La règle donnée dans cet article, pour savoir lequel des deux systèmes d’équations on doit choisir dans chaque cas, n’est pas assez, générale.

    M. Bret, professeur de Mathématiques au Lycée de Grenoble, a trouvé un exemple où elle est en défaut.

    Soit l’équation

    la transformée en est

    dont les racines sont ce qui donne

    La fonction est parce que ainsi il faudrait prendre le premier système. On aurait d’abord

    qui ne satisfait pas. En effet,

    ainsi l’équation serait

    ce qui n’est pas zéro.

    Le deuxième système donnerait

    donc

    Mais je remarque que l’analyse donne simplement la condition

    d’où il suit que le produit des trois radicaux doit être égal et par conséquent

    de même signe que la quantité Donc, si en prenant les trois radicaux positivement leur produit est de même signe que cette quantité, ce sera le premier système qui aura lieu ; mais, s’il est de signe contraire, alors il faudra donner le signe à l’un des trois radicaux, ce qui donnera le second système.

    Dans l’exemple dont il s’agit, on a

    tandis que

    Ainsi c’est le second système qui a lieu.

    La méprise vient de ce qu’on a supposé que le produit des trois radicaux, pris positivement, serait toujours positif.

    Au reste, on peut ôter toute ambiguïté en prenant dans le premier système

    Dans l’exemple proposé, pour lequel

    ayant fait on aura alors le premier système donnera

    véritables racines.

  3. Œuvres de Lagrange, t. III, p. 205.
  4. Œuvres de Lagrange, t. III, p. 205.