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Pensées philosophiques/Addition aux Pensées philosophiques

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Pensées philosophiques
Pensées philosophiques, Texte établi par J. Assézat et M. TourneuxGarnierI (p. 157-169).


ADDITION
AUX
PENSÉES PHILOSOPHIQUES


OU


OBJECTIONS DIVERSES CONTRE LES ÉCRITS
DE DIFFÉRENTS THÉOLOGIENS.




Quoique l’addition suivante n’ait été publiée qu’en 1770, nous n’avons pas cru, plus que nos prédécesseurs, pouvoir la séparer de l’ouvrage auquel elle se rattache si intimement. Il est probable, d’ailleurs, comme le pense M. Rosenkranz, que ces pensées ont dû être composées pour lui seul par Diderot, en réponse aux critiques qui avaient été faites des Pensées philosophiques, et ce qui fait croire qu’il les réservait, c’est que Naigeon, en les publiant à l’étranger pour la première fois, ne les a point attribuées à son maître ; qu’il n’en dit rien dans ses Mémoires et qu’il a attendu la Révolution pour les éditer en France sous le nom de leur véritable auteur.

Ces nouvelles Pensées philosophiques, qui nous sont ainsi parvenues par le canal de Naigeon, pourraient bien avoir été traitées par lui comme il a traité les premières, en les insérant dans son article Diderot de la Philosophie ancienne et moderne, c’est-à-dire qu’elles ne contiennent peut-être que juste ce que Naigeon croyait utile à sa cause. Il y règne une certaine sécheresse. Quant aux objections, on les trouvera sans doute assez vulgaires ; mais il faut se rappeler que ce sont à peu près les mêmes qu’a répétées Voltaire jusqu’à satiété. Elles ne nous semblent plus aujourd’hui à la hauteur de la critique nouvelle, c’est bon signe. Si elles roulent sur des sujets qui n’ont plus le don de nous passionner, il faut précisément en tirer un motif de reconnaissance pour ceux qui ont combattu de toutes armes afin de ramener ces sujets à leur juste valeur, jusqu’à eux beaucoup trop exagérée.

Voici comment Naigeon présenta ces Pensées aux lecteurs de la Philosophie ancienne et moderne, avant de les placer dans son édition de Diderot, de 1798 :

« Plusieurs années après la publication des Pensées philosophiques, Diderot, enhardi par le succès que cet ouvrage avait eu parmi les bons esprits, les seuls juges qu’il reconnût, y fit une suite qu’il garda prudemment dans son portefeuille, et qui aurait infailliblement compromis son repos, sa liberté, peut-être même sa vie, si dans ces temps très marqués dans notre histoire par tant d’atrocités ministérielles, il l’eût livrée à l’impression. Il faut cependant qu’une copie peu fidèle et très-incomplète de ces Pensées soit tombée depuis entre les mains de l’éditeur d’un Recueil philosophique publié en Hollande en 1770 ; car on trouve dans cet excellent recueil un assez grand nombre de ces pensées : mais on a changé dans plusieurs le tour et l’expression de Diderot, et ces changements ne sont pas toujours très-heureux. Comme j’ai eu entre les mains le manuscrit autographe de cette Addition aux Pensées philosophiques, je saisis avec empressement cette occasion de rétablir ici dans toute son intégrité le texte original de ces Pensées, beaucoup plus hardies que celles qui parurent en 1746. On y voit un philosophe profondément affligé des obstacles de toute espèce que les préjugés religieux ont opposés aux progrès des lumières, employer tour à tour les armes du raisonnement et du ridicule pour détruire une superstition qui, depuis vingt siècles, pèse sur l’esprit humain, et dont les fauteurs sont d’autant plus difficiles à détromper, que l’absurdité même des dogmes qu’elle enseigne sert d’aliment à leur stupide crédulité, et en fortifie les motifs à leurs propres yeux. »

Naigeon, avait été lui-même l’éditeur du Recueil philosophique ; Londres (Amsterdam), 1770. L’Addition y porte le titre de Pensées sur la religion.



I.

Les doutes, en matière de religion, loin d’être des actes d’impiété, doivent être regardés comme de bonnes œuvres, lorsqu’ils sont d’un homme qui reconnaît humblement son ignorance, et qu’ils naissent de la crainte de déplaire à Dieu par l’abus de la raison.

II.

Admettre quelque conformité entre la raison de l’homme et la raison éternelle, qui est Dieu, et prétendre que Dieu exige le sacrifice de la raison humaine, c’est établir qu’il veut et ne veut pas tout à la fois.

III.

Lorsque Dieu de qui nous tenons la raison en exige le sacrifice, c’est un faiseur de tours de gibecière qui escamote ce qu’il a donné.

IV.

Si je renonce à ma raison, je n’ai plus de guide : il faut que j’adopte en aveugle un principe secondaire, et que je suppose ce qui est en question.

V.

Si la raison est un don du ciel, et que l’on en puisse dire autant de la foi, le ciel nous a fait deux présents incompatibles et contradictoires.

VI.

Pour lever cette difficulté, il faut dire que la foi est un principe chimérique, et qui n’existe point dans la nature.

VII.

Pascal, Nicole, et autres ont dit : « Qu’un dieu punisse de peines éternelles la faute d’un père coupable sur tous ses enfants innocents, c’est une proposition supérieure et non contraire à la raison. » mais qu’est-ce donc qu’une proposition contraire à la raison, si celle qui énonce évidemment un blasphème ne l’est pas ?

VIII.

Égaré dans une forêt immense pendant la nuit, je n’ai qu’une petite lumière pour me conduire. Survient un inconnu qui me dit : Mon ami, souffle ta bougie pour mieux trouver ton chemin. Cet inconnu est un théologien.

IX.

Si ma raison vient d’en haut, c’est la voix du ciel qui me parle par elle ; il faut que je l’écoute.

X.

Le mérite et le démérite ne peuvent s’appliquer à l’usage de la raison, parce que toute la bonne volonté du monde ne peut servir à un aveugle pour discerner des couleurs. Je suis forcé d’apercevoir l’évidence où elle est, et le défaut d’évidence où l’évidence n’est pas, à moins que je ne sois un imbécile ; or l’imbécillité est un malheur et non pas un vice.

XI.

L’auteur de la nature, qui ne me récompensera pas pour avoir été un homme d’esprit, ne me damnera pas pour avoir été un sot.

XII.

Et il ne te damnera pas même pour avoir été un méchant. Quoi donc ! N’as-tu pas déjà été assez malheureux d’avoir été méchant ?

XIII.

Toute action vertueuse est accompagnée de satisfaction intérieure ; toute action criminelle, de remords ; or l’esprit avoue, sans honte et sans remords, sa répugnance pour telles et telles propositions ; il n’y a donc ni vertu ni crime, soit à les croire, soit à les rejeter.

XIV.

S’il faut encore une grâce pour bien faire, à quoi a servi la mort de Jésus-Christ ?

XV.

S’il y a cent mille damnés pour un sauvé, le diable a toujours l’avantage, sans avoir abandonné son fils à la mort.

XVI.

Le Dieu des chrétiens est un père qui fait grand cas de ses pommes, et fort peu de ses enfants.

XVII.

Ôtez la crainte de l’enfer à un chrétien, et vous lui ôterez sa croyance.

XVIII.

Une religion vraie, intéressant tous les hommes dans tous les temps et dans tous les lieux, a dû être éternelle, universelle et évidente ; aucune n’a ces trois caractères. Toutes sont donc trois fois démontrées fausses.

XIX.

Les faits dont quelques hommes seulement peuvent être témoins sont insuffisants pour démontrer une religion qui doit être également crue par tout le monde.

XX.

Les faits dont on appuie les religions sont anciens et merveilleux, c’est-à-dire les plus suspects qu’il est possible, pour prouver la chose la plus incroyable.

XXI.

Prouver l’évangile par un miracle, c’est prouver une absurdité par une chose contre nature.

XXII.

Mais que Dieu fera-t-il à ceux qui n’ont pas entendu parler de son fils ? Punira-t-il des sourds de n’avoir pas entendu ?

XXIII.

Que fera-t-il à ceux qui, ayant entendu parler de sa religion, n’ont pu la concevoir ? Punira-t-il des pygmées de n’avoir pas su marcher à pas de géant ?

XXIV.

Pourquoi les miracles de Jésus-Christ sont-ils vrais, et ceux d’Esculape, d’Apollonius de Tyane et de Mahomet sont-ils faux ?

XXV.

Mais tous les juifs qui étaient à Jérusalem ont apparemment été convertis à la vue des miracles de Jésus-Christ ? Aucunement. Loin de croire en lui, ils l’ont crucifié. Il faut convenir que ces Juifs sont des hommes comme il n’y en a point ; partout on a vu les peuples entraînés par un seul faux miracle, et Jésus-Christ n’a pu rien faire du peuple juif avec une infinité de miracles vrais.

XXVI.

C’est ce miracle-là d’incrédulité des juifs qu’il faut faire valoir, et non celui de sa résurrection.

XXVII.

Il est aussi sûr que deux et deux font quatre, que César a existé ; il est aussi sûr que Jésus-Christ a existé que César. Donc il est aussi sûr que Jésus-Christ est ressuscité, que lui ou César a existé. Quelle logique ! L’existence de Jésus-Christ et de César n’est pas un miracle.

XXVIII.

On lit dans la Vie de M. de Turenne, que le feu ayant pris dans une maison, la présence du Saint−Sacrement arrêta subitement l’incendie. D’accord. Mais on lit aussi dans l’histoire, qu’un moine ayant empoisonné une hostie consacrée, un empereur d’Allemagne ne l’eut pas plus tôt avalée qu’il en mourut.

XXIX.

Il y avait là autre chose que les apparences du pain et du vin, ou il faut dire que le poison s’était incorporé au corps et au sang de Jésus-Christ.

XXX.

Ce corps se moisit, ce sang s’aigrit. Ce Dieu est dévoré par les mites sur son autel. Peuple aveugle, Égyptien imbécile, ouvre donc les yeux !

XXXI.

La religion de Jésus-Christ, annoncée par des ignorants, a fait les premiers chrétiens. La même religion, prêchée par des savants et des docteurs, ne fait aujourd’hui que des incrédules.

XXXII.

On objecte que la soumission à une autorité législative dispense de raisonner. Mais où est la religion, sur la surface de la terre, sans une pareille autorité ?

XXXIII.

C’est l’éducation de l’enfance qui empêche un mahométan de se faire baptiser ; c’est l’éducation de l’enfance qui empêche un chrétien de se faire circoncire ; c’est la raison de l’homme fait qui méprise également le baptême et la circoncision.

XXXIV.

Il est dit dans saint Luc, que Dieu le père est plus grand que Dieu le fils, pater major me est. Cependant, au mépris d’un passage aussi formel, l’Église prononce anathème au fidèle scrupuleux qui s’en tient littéralement aux mots du testament de son père.

XXXV.

Si l’autorité a pu disposer à son gré du sens de ce passage, comme il n’y en a pas un dans toutes les Écritures qui soit plus précis, il n’y en a pas un qu’on puisse se flatter de bien entendre, et dont l’Église ne fasse dans l’avenir tout ce qu’il lui plaira.

XXXVI.

Tu es Petrus, et super hanc petram ædificabo ecclesiam meam. Est-ce là le langage d’un Dieu, ou une bigarrure digne du Seigneur des Accords[1] ?

XXXVII.

In dolore paries (Genèse). Tu engendreras dans la douleur, dit Dieu à la femme prévaricatrice. Et que lui ont fait les femelles des animaux, qui engendrent aussi dans la douleur ?

XXXVIII.

S’il faut entendre à la lettre, pater major me est, Jésus-Christ n’est pas Dieu. S’il faut entendre à la lettre, hoc est corpus meum, il se donnait à ses apôtres de ses propres mains ; ce qui est aussi absurde que de dire que saint Denis baisa sa tête après qu’on la lui eut coupée.

XXXIX.

Il est dit qu’il se retira sur le mont des Oliviers, et qu’il pria. Et qui pria-t-il ? Il se pria lui-même.

XL.

Ce Dieu, qui fait mourir Dieu pour apaiser Dieu, est un mot excellent du baron de la Hontan[2]. Il résulte moins d’évidence de cent volumes in-folio, écrits pour ou contre le christianisme, que du ridicule de ces deux lignes.

XLI.

Dire que l’homme est un composé de force et de faiblesse, de lumière et d’aveuglement, de petitesse et de grandeur, ce n’est pas lui faire son procès, c’est le définir.

XLII.

L’homme est comme Dieu ou la nature l’a fait ; et Dieu ou la nature ne fait rien de mal.

XLIII.

Ce que nous appelons le péché originel, Ninon De l’Enclos l’appelait le péché original.

XLIV.

C’est une impudence sans exemple que de citer la conformité des Évangélistes, tandis qu’il y a dans les uns des faits très-importants dont il n’est pas dit un mot dans les autres.

XLV.

Platon considérait la Divinité sous trois aspects, la bonté, la sagesse et la puissance. Il faut se fermer les yeux pour ne pas voir là la Trinité des chrétiens. Il y avait près de trois mille ans que le philosophe d’Athènes appelait Logos (λογὸς) ce que nous appelons le Verbe.

XLVI.

Les personnes divines sont, ou trois accidents, ou trois substances. Point de milieu. Si ce sont trois accidents, nous sommes athées ou déistes. Si ce sont trois substances, nous sommes païens.

XLVII.

Dieu le père juge les hommes dignes de sa vengeance éternelle : Dieu le fils les juge dignes de sa miséricorde infinie : le Saint-Esprit reste neutre. Comment accorder ce verbiage catholique avec l’unité de la volonté divine ?

XLVIII.

Il y a longtemps qu’on a demandé aux théologiens d’accorder le dogme des peines éternelles avec la miséricorde infinie de Dieu ; et ils en sont encore là.

XLIX.

Et pourquoi punir un coupable, quand il n’y a plus aucun bien à tirer de son châtiment ?

L.

Si l’on punit pour soi seul, on est bien cruel et bien méchant.

LI.

Il n’y a point de bon père qui voulût ressembler à notre père céleste.

LII.

Quelle proportion entre l’offenseur et l’offensé ? quelle proportion entre l’offense et le châtiment ? Amas de bêtises et d’atrocités !

LIII.

Et de quoi se courrouce-t-il si fort, ce Dieu ? Et ne dirait-on pas que je puisse quelque chose pour ou contre sa gloire, pour ou contre son repos, pour ou contre son bonheur ?

LIV.

On veut que Dieu fasse brûler le méchant, qui ne peut rien contre lui, dans un feu qui durera sans fin ; et on permettrait à peine à un père de donner une mort passagère à un fils qui compromettrait sa vie, son honneur et sa fortune !

LV.

Ô chrétiens ! vous avez donc deux idées différentes de la bonté et de la méchanceté, de la vérité et du mensonge. Vous êtes donc les plus absurdes des dogmatistes, ou les plus outrés des pyrrhoniens.

LVI.

Tout le mal dont on est capable n’est pas tout le mal possible : or, il n’y a que celui qui pourrait commettre tout le mal possible qui pourrait aussi mériter un châtiment éternel. Pour faire de Dieu un être infiniment vindicatif, vous transformez un ver de terre en un être infiniment puissant.

LVII.

À entendre un théologien exagérer l’action d’un homme que Dieu fit paillard, et qui a couché avec sa voisine, que Dieu fit complaisante et jolie, ne dirait-on pas que le feu ait été mis aux quatre coins de l’univers ? Eh ! Mon ami, écoute Marc-Aurèle, et tu verras que tu courrouces ton Dieu pour le frottement illicite et voluptueux de deux intestins[3].

LVIII.

Ce que ces atroces chrétiens ont traduit par éternel ne signifie, en hébreu, que durable. C’est de l’ignorance d’un hébraïste, et de l’humeur féroce d’un interprète, que vient le dogme de l’éternité des peines.

LIX.

Pascal a dit : « Si votre religion est fausse, vous ne risquez rien à la croire vraie ; si elle est vraie, vous risquez tout à la croire fausse. » Un iman en peut dire tout autant que Pascal.

LX.

Que Jésus-Christ qui est Dieu ait été tenté par le diable, c’est un conte digne des Mille et une nuits.

LXI.

Je voudrais bien qu’un chrétien, qu’un janséniste surtout, me fît sentir le cui bono de l’incarnation. Encore ne faudrait-il pas enfler à l’infini le nombre des damnés si l’on veut tirer quelque parti de ce dogme.

LXII.

Une jeune fille vivait fort retirée : un jour elle reçut la visite d’un jeune homme qui portait un oiseau ; elle devint grosse : et l’on demande qui est-ce qui a fait l’enfant ? Belle question ! C’est l’oiseau.

LXIII.

Mais pourquoi le cygne de Léda et les petites flammes de Castor et Pollux nous font-ils rire, et que nous ne rions pas de la colombe et des langues de feu de l’Évangile ?

LXIV.

Il y avait, dans les premiers siècles, soixante Évangiles presque également crus. On en a rejeté cinquante-six pour raison de puérilité et d’ineptie. Ne reste-t-il rien de cela dans ceux qu’on a conservés ?

LXV.

Dieu donne une première loi aux hommes ; il abolit ensuite cette loi. Cette conduite n’est-elle pas un peu d’un législateur qui s’est trompé, et qui le reconnaît avec le temps ? Est-ce qu’il est d’un être parfait de se raviser ?

LXVI.

Il y a autant d’espèces de foi qu’il y a de religions au monde.

LXVII.

Tous les sectaires du monde ne sont que des déistes hérétiques.

LXVIII.

Si l’homme est malheureux sans être né coupable, ne serait-ce pas qu’il est destiné à jouir d’un bonheur éternel, sans pouvoir, par sa nature, s’en rendre jamais digne ?

LXIX.

Voilà ce que je pense du dogme chrétien : je ne dirai qu’un mot de sa morale. C’est que, pour un catholique père de famille, convaincu qu’il faut pratiquer à la lettre les maximes de l’Évangile sous peine de ce qu’on appelle l’enfer, attendu l’extrême difficulté d’atteindre à ce degré de perfection que la faiblesse humaine ne comporte point, je ne vois d’autre parti que de prendre son enfant par un pied, et que de l’écacher[4] contre la terre, ou que de l’étouffer en naissant. Par cette action il le sauve du péril de la damnation, et lui assure une félicité éternelle ; et je soutiens que cette action, loin d’être criminelle, doit passer pour infiniment louable, puisqu’elle est fondée sur le motif de l’amour paternel, qui exige que tout bon père fasse pour ses enfants tout le bien possible.

LXX.

Le précepte de la religion et la loi de la société, qui défendent le meurtre des innocents, ne sont-ils pas, en effet, bien absurdes et bien cruels, lorsqu’en les tuant on leur assure un bonheur infini, et qu’en les laissant vivre on les dévoue, presque sûrement, à un malheur éternel ?

LXXI.

Comment, Monsieur de La Condamine ! Il sera permis d’inoculer son fils pour le garantir de la petite vérole, et il ne sera pas permis de le tuer pour le garantir de l’enfer ? Vous vous moquez.

LXXII.

Satis triumphat veritas si apud paucos, eosque bonos, accepta sit ; nec ejus indoles placere multis.




  1. Estienne Tabourot : les Bigarrures et Touches du seigneur des Accords avec les apophtegmes du sieur Gaulard, 1re édit., 1572, recueil plein de joyeuseté en même temps que de véritable science. Souvent réimprimé.
  2. Gentilhomme gascon, voyageur, qui vivait dans le xviie siècle. (Br.)
  3. M. de Joly, traducteur timoré de Marc-Aurèle, s’est retranché, pour cette phrase, derrière la version italienne du cardinal François Barberino, neveu du pape Urbain VIII. La voici : l’amour est « un diletico dell’intestino e con qualche convulsione una egestione d’un moccino. » (Pensées de l’empereur Marc-Aurèle, Paris, 1770, p. 214). C’est à peu près la définition du professeur Lallemand de Montpellier : « l’amour n’est que l’attraction de deux muqueuses. »
  4. Écacher vieux mot, comme en trouvera souvent dans Diderot, et qui signifie écraser, broyer.

    Quant à la conclusion indiquée dans cette pensée, elle est venue souvent à l’esprit de ces pauvres insensés que les aliénistes appellent théomanes.