L’Heptaméron des nouvelles/Avertissement

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AVERTISSEMENT



uand, sur un sujet, il n’y a rien ou peu de chose, on est forcé de tout dire. Il n’en serait pas ainsi avec Marguerite de Navarre. Elle a eu un rôle vraiment historique ; elle a laissé un livre très-connu & qui mérite de l’être. Si l’on devait parler d’elle en détail, on raconterait presque tout le règne de François Ier, & l’on pourrait écrire une partie de l’histoire littéraire de son époque. Ici, en tête de son œuvre principale, de celle qui l’a fait vivre & à laquelle il convient de laisser la parole, nous n’avons pas à donner au cadre une importance où se perdrait le tableau. Sans avoir tout dit, bien des écrivains se sont occupés de la Reine de Navarre, & l’on en jugera facilement par une revue rapide.

Dès 1550 (Marguerite est morte en 1549), il en a paru une véritable biographie, très-personnelle & très-particulière, sous la forme d’Oraison funèbre, &, comme telle, elle est singulièrement supérieure à toutes celles du même temps. Par sa convenance & par sa simplicité, comme par la réelle sincérité du sentiment qui l’anime, elle est certainement l’une des plus remarquables de toutes celles qui ont précédé les grands chefs-d’œuvre du xviie siècle en ce genre. Comme celui qui l’a écrite a voulu s’adresser à la fois aux savants & au public, on la possède en deux langues. Voici le titre de l’édition latine :

In obitum incomparabilis Margaritæ, illustrissimæ Navarrorum Reginæ, Oratio funebris per Carolum Sancto-Marthanum, ejusdem Reginæ, dum illa viveret, apud Alençonienses Consiliarium & Supplicum libellorum Magistrum. Accessere eruditorum virorum ejusdem Reginæ Epitaphia. Parisiis, ex officina Reginaldi Calderii & Claudii, ejus filii. M. D. L. In-4o  de 147 pages.

À la fin, depuis la page 127, se trouvent les Epitaphia, ceux, en vers grecs, de Jacques Goupil, médecin : Ιάκωϐος Γουπύλος, ἰατρός, & ceux, en vers latins, du jurisconsulte Mathieu du Pac, de Pierre des Mireurs (Petrus Mirarius), d’Antoine Armand de Marseille, de René & de Charles de Sainte-Marthe, de Pierre Martel d’Alençon, d’Hubert Susanne (Susannœus), le tout terminé par une épitaphe lapidaire, signée de Nicolas Denisot (Inscribebat Cornes Alsinoüs).

Sainte-Marthe devait certainement attacher beaucoup plus d’importance à ce qu’il écrivait dans la langue de Cicéron ; mais, heureusement pour lui & pour Marguerite, il publia en même temps son Oraison funèbre en langue vulgaire, &, sous sa forme française, qui doit être celle dans laquelle il l’a écrite d’abord, elle a une bien autre portée. On la regarderait à peine sous son vêtement à l’antique ; le texte français, au contraire, a un tout autre accent, qui ne s’est pas éteint & qui vibre encore aujourd’hui.

Le volume, également publié par Regnault & Claude Chaudière le 20 avril 1550, avec un privilège du Roi du 14, est un in-4o  de 8 & 139 pages, sous les signatures A-T. Il commence par une pièce de vers de six pages, datée du 17 avril & dédiée par Charles de Sainte-Marthe à Marguerite de Valois, sœur de Henri II, & à Jeanne, Princesse de Navarre & Duchesse du Vendômois, c’est-à-dire à la nièce & à la fille de notre Marguerite. Il se termine par de courtes Épitaphes de plusieurs doctes personnes, qui sont : Mr Du Val, Évêque de Séez ; Mr Heroet ; Jean Frotté, le Secrétaire de Marguerite ; Louis de Sainte-Marthe, Procureur du Roi à Loudun ; I. M. ; une Damoyselle Parisienne A. Y. ; Pierre des Mireurs, avec sa devise Ignoti nulla cupido, & Charles de Sainte-Marthe. La dernière pièce est un sonnet à Damoyselle Renée Laudier, d’Alençon.

Aucune de ces épitaphes en vers n’a de valeur historique, & le plus grand nombre n’a pas même de mérite poétique, mais l’Oraison funèbre est aussi remarquable qu’importante.

On la critiqua cependant à son apparition, & M. Le Roux de Lincy a relevé les curieux passages où Sainte-Marthe nous l’apprend dans une autre Oraison funèbre, celle de Françoise d’Alençon, Duchesse de Beaumont, Douairière de Beaumont & de Longueville, la sœur du premier mari de Marguerite, publiée dans la même année 1550 :

« C’est pitié d’ouïr faire récit de combien de parts ma pauvre Oraison a été assaillie, blessée, dégettée voire, & de plusieurs qui sont plus insipides que la beste. »

Il y revient encore une autre fois :

« Je ne fay doubte que, venue ceste mienne Oraison funèbre en lumière & congnoissance des hommes, elle ne soit lardée, dessirée, blasmée, reprinse & du tout, non pourtant de tous, condamnée, comme a esté celle du trespas de la Reine de Navarre. »

Il est probable que les critiques passaient surtout par-dessus la tête de l’auteur pour atteindre la Reine elle-même, toujours suspecte d’hérésie. Nous ne pouvons aujourd’hui que louer Sainte-Marthe, non-seulement pour avoir exprimé sa juste reconnaissance dans une langue toujours pure & souvent éloquente, mais surtout pour avoir plus d’exactitude biographique que n’en ont en général ces discours d’apparat. C’est un vrai témoignage contemporain, dont rien ne dispense & que rien ne remplacera.

En même temps que l’Oraison funèbre il parut un Tombeau poétique, également sous deux formes : Anna, Margaritœ, Joanœ, sororum virginum, heroidum Anglarum, in mortem diva Margaritœ Valesiœ, Navarromm Reginœ, hecatodisticon & aliorum carmina. Parisiis, 1550, in-8o. Ces distiques latins étaient l’œuvre de trois jeunes Anglaises du plus haut rang, filles du duc de Somerset & de la famille royale, leur père Edouard Ier Seymour étant le frère de Jeanne Seymour, la troisième femme de Henri VIII & la mère d’Édouard VI. Marguerite & Jeanne restèrent filles ; Anne fut mariée à Jean Dudley, comte de Warwick, bien que, & peut-être parce qu’il était à la tête du parti qui l’emporta sur le Duc de Somerset, décapité en 1552, deux ans après la publication de l’ouvrage de ses filles.

On s’en explique la publication en France parce que Nicolas Denisot était revenu d’Angleterre, où il les avait connues. Ce fut encore lui qui, l’année suivante, fit une nouvelle édition très-augmentée :

Le Tombeau de Marguerite de Valois, Royne de Navarre ; fait premièrement en distiques latins par les trois jeunes Princesses en Angleterre, depuis traduites en grec, italien & françois, par plusieurs des excellents poètes de la France, avec plusieurs Odes, Hymnes, Cantiques, Épitaphes sur le mesme subjet. Paris, Michel Fezandat & Robert Granjon, 1551.

Le joli portrait en bois de Marguerite est certainement dessiné par le Comte d’Alsinois, qui se piquait d’ailleurs d’être un peintre ; on le voit par les vers de Robert de La Haye in iconem :

.....Comes reduxit illam
De busto Alsinoüs.....

Après la dédicace, en date du 25 mars 1551, à la nièce de la Reine de Navarre, l’autre Marguerite, sœur unique de Henri II & Duchesse de Berry, & celle de Nicolas Herberay, Sieur des Essarts, « à Mes Dames de Seymour, illustres Princesses en Angleterre », viennent les distiques latins élégiaques des trois sœurs, traduits en grec par Daurat, qui avait auparavant écrit l’épithalame d’un des deux mariages de Marguerite ; en italien par I. P. D. M., qui a pour devise : Cœlum, non solum ; en français, par Damoiselle A. D. L., par Antoine de Baïf, &, avec la devise : Cœlo Musa beat, par I. D. B. A., c’est-à-dire « Joachim Du Bellay, Angevin », dont les quatrains, assez faibles, comme il arrive à toutes les tâches poétiques, & omis dans l’édition de ses œuvres donnée par Frédéric Morel, ont été recueillis dans l’édition récente de M. Marty-Lavaux (II, 513-25 et 571-3).

On a joint à ces traductions de nombreuses pièces latines de Mathieu du Pac, de Salmon Macrin, de Nicolas Bourbon, de Claude d’Espence, d’Antoine Armand de Marseille, de Jean Tagaut, de Guillaume Bouguier, Angevin, de Nicolas Paron (N. Paro), de Pierre des Mireurs, de Claude de Sainte-Marthe & de Jean Morel, Embrunois.

Nous nous intéressons plus aux trois grandes pièces françaises de Ronsard. Deux, dont l’une commence par :

Bienheureuse & chaste cendre,

& dont l’autre :

Ainsi que le vrai Prophète,

est traduite du latin de Daurat, sont postérieures à la mort de Marguerite ; mais la troisième :

Qui renforcera ma voix…

a été adressée à la Reine pendant sa vie ; c’est celle qui se termine par les vers sur sa querelle avec Mellin de Saint-Gelais :

Et fay que devant mon Prince
Désormais plus ne me pince
La tenaille de Melin.

Après cette efflorescence poétique, il est bon de revenir à l’histoire. Ce n’est qu’à la fin du siècle que Brantôme écrit ; mais dans sa jeunesse il a vu Marguerite, & il en a beaucoup entendu parler par sa grand’mère, la Sénéchale de Poitou, & par sa mère, qui en avaient été Dame & Fille d’honneur. Par là son témoignage est comme absolument contemporain ; aussi l’article des Dames illustres est-il des plus vivants, & l’on ne peut pas plus s’en dispenser que de l’Oraison funèbre de Sainte-Marthe.

Sans parler des Mémoires du temps, surtout de ceux écrits par des protestants, de toutes les Histoires de France, des Biographies générales, des histoires de notre littérature & des histoires provinciales de Béarn & d’Alençon ; sans parler de l’Histoire de Marguerite de Valois, de Mlle de La Force, & de l’Histoire secrète du Connétable de Bourbon, de Baudot de Juilly, publiées toutes deux en 1696, & qui sont de pitoyables romans, il serait déjà long d’indiquer, même rapidement, ce qui a été écrit sur elle depuis une trentaine d’années.

Dès 1837, M. Castaigne lui consacrait une notice biographique & littéraire dans l’Annuaire de la Charente. En 1841, M. François Génin publia, pour la Société de l’Histoire de France, un premier volume de lettres de Marguerite, suivi, en 1842, d’un volume supplémentaire composé de lettres à François Ier. Trop de lettres y sont seulement analysées, & ces lettres, adressées le plus souvent à des personnages peu considérables, auraient cependant leur importance pour le portrait de la Reine de Navarre, dont l’infatigable bonté ne se lassait jamais de s’occuper des autres. Malgré cette lacune volontaire, qu’il serait facile de combler, les deux volumes publiés par M. Génin ont apporté pour la première fois un ensemble de documents & de textes des plus précieux, & leur intérêt fut signalé au public par deux articles bons à rappeler, l’un de M. Littré dans la Revue des Deux Mondes (Ier juin 1842), l’autre à Londres, dans la Foreign Quarterly Review, n° 59.

M. Aimé Champollion ne s’est pas occupé uniquement de Marguerite, comme M. Génin ; mais, dans le volume de la collection des Documents inédits qu’il a consacré, en 1842, à la Captivité de François Ier, il a inséré de nouvelles lettres de Marguerite relatives à son voyage en Espagne, &, dans les Poésies inédites de François Ier, parues en 1847, il a joint à celles du frère un certain nombre de pièces de la sœur.


C’est en 1853 que M. Le Roux de Lincy a publié en trois volumes, pour la Société des Bibliophiles français, une nouvelle édition de l’Heptaméron. Nous pouvons d’autant moins en faire l’éloge que celle-ci a l’honneur & le bonheur de la reproduire. Sa notice biographique, aussi nouvelle que remarquable, était accompagnée d’excellents appendices littéraires, & le texte était enfin éclairci par des notes importantes ; mais la plus grande valeur était encore dans les soins nouveaux donnés au texte, établi pour la première fois d’une façon critique & définitive.

Le remaniement de Boaistuau n’a eu qu’une seule édition ; mais le texte de Claude Gruget avait fait loi depuis son apparition, & c’était toujours lui qui avait été reproduit. M. Le Roux de Lincy a recouru le premier aux manuscrits, & par là il nous a donné le vrai texte de l’Heptaméron. Il a commencé une famille d’éditions qui ne s’écarteront plus de la sienne & se tiendront dans le même sens. Celle-ci en est presque la reproduction, mais l’édition de la Bibliothèque Gauloise, donnée en 1848 par M. Lacroix, celle plus récente de la petite Collection bleue, donnée par M. B. Pifteau en 1875, ont déjà toutes les deux, & comme il convenait, suivi presque complètement son texte, qui a été dès le premier jour & qui reste l’édition maîtresse. C’est à son propos qu’a été écrite l’étude de Sainte-Beuve dans le tome VII des Causeries du Lundi, & c’est en se servant à la fois des volumes de Génin & de la notice de M. Le Roux de Lincy que miss Freer a publié à Londres, en 1855, ses deux volumes : The life of Marguerite d’Angouleme, Queen of Navarre, from unpublished sources. Une heureuse rencontre a permis pourtant à un érudit de leur ajouter beaucoup. Le volume que M. de La Ferrière-Percy a publié chez Aubry, en 1862, sous le titre de : Marguerite d’Angoulême, sœur de François Ier, étude sur ses dernières années, est absolument nouveau & des plus intéressants. Le registre de ses dépenses tenu par son Secrétaire Jean Frotté, de 1540 à 1549, & l’état de sa Maison en 1548, sont les deux pièces capitales, pleines des détails les plus complets & parfois les plus inattendus, que M. de La Ferrière-Percy a mises en œuvre, éclaircies & complétées par l’érudition la plus sûre & la plus heureuse. Comme on ne pourrait lui tout prendre, il faudrait trop lui laisser ; il est à la fois moins difficile & plus juste de renvoyer à cette excellente étude, dont il est impossible de se passer.

Enfin, cette année même, dans un autre travail, plus grave & tout aussi considérable, sur le premier mariage de Jeanne d’Albret, M. de Ruble vient d’imprimer, d’après les originaux conservés à Munich, un certain nombre de lettres de Marguerite au Duc de Clèves, le premier mari de sa fille. M. de La Ferrière en avait aussi donné quelques nouvelles, & le Duc de la Trémouille, dans les Documents historiques & généalogiques qu’il a extraits du Chartrier de Thouars (Nantes, 1878, in-f°), vient d’en publier de nouvelles. Ce ne seront certainement pas les dernières. Il y aurait lieu maintenant de reprendre le sujet & de réunir d’une façon définitive la correspondance vraiment entière de Marguerite. Ce serait la meilleure biographie qui pourrait jamais en être faite ; aucune ne serait aussi complète & aussi vivante.


Nous n’avons pas même à l’esquisser ici. Pour remplacer le trop peu que nous pourrions seulement répéter & résumer, nous avons pensé qu’il valait mieux laisser la parole aux contemporains. Tout le monde, Bayle, aussi bien que Le Roux de Lincy, que M. Niel, dans l’article de ses Portraits du XVIe siècle, & que M. de La Ferrière-Percy, ne peut parler de Marguerite sans employer & sans emprunter de longs passages de Brantôme & de Sainte-Marthe ; personne n’en sait plus & personne ne dit mieux. On les a cités, on les citera encore à satiété. Nous avons trouvé qu’au lieu de les extraire, il valait mieux les transcrire, parce que rien ne les peut remplacer. On trouvera donc, à la suite de cet Avertissement, leur texte entier, & ceci nous amène à dire comment cette édition doit être composée.

Son point de départ a été l’acquisition des cuivres originaux gravés d’après Freudenberg pour l’édition de Berne. Pour les compléter, M. Eudes, a fait regraver sur cuivre les en-tête & les fleurons de Dunker. À cette très-remarquable & très-célèbre illustration il fallait aujourd’hui un nouveau texte.

La Société des Bibliophiles français a gracieusement autorisé l’éditeur à se servir du texte & des notes de M. Le Roux de Lincy. Elle n’a fait de réserves que pour la notice initiale & pour des documents qui ne se rapportent pas à Marguerite[1]. Son édition, qui conservera toujours son intérêt & sa valeur par son élégance typographique & par son caractère personnel, sera donc seule à offrir ces différentes parties ; mais, grâce à sa bienveillance, toutes les notes, tous les appendices littéraires & bibliographiques de M. Le Roux de Lincy se retrouveront ici.


Le lecteur commencera par trouver la réimpression de la précieuse Oraison funèbre de Charles de Sainte-Marthe. Quelques passages ressassent les lieux communs de la rhétorique oratoire du temps. Nous avions commencé par vouloir les supprimer, & nous serions restés dans cette pensée si leur absence avait dû rendre sensiblement plus court l’ouvrage de Sainte-Marthe. Ils sont, en réalité, si peu nombreux qu’on aurait gagné quelques pages seulement. La chose n’en valait donc pas la peine, & le livre est assez rare pour qu’il vaille mieux, du moment où il est si riche en souvenirs & si touchant comme accent, le donner sans suppressions & lui laisser tout son caractère. Nous avons seulement réuni à la fin les manchettes des marges de l’édition originale, de manière à en former une sorte de table analytique.

Le texte de Brantôme vient ensuite. À l’article des « Dames illustres » nous avons joint les autres passages épars dans d’autres parties. M. Le Roux de Lincy, qui en avait inséré de très-longs fragments dans sa Notice, s’était contenté de renvoyer par une table spéciale à ce qu’il n’avait pas eu à employer. Nous avons préféré éviter cette peine au lecteur, qui trouvera dans le quatrième volume, aux notes de chaque Nouvelle, la transcription complète des passages, assez nombreux, où Brantôme a fait allusion à tel ou tel conte en particulier. Nous avons suivi le texte de la très-bonne édition donnée par M. Lalanne dans la collection de la Société de l’Histoire de France.

Les autres appendices de ce premier volume : la notice des manuscrits de l’Heptaméron ; la notice des éditions de l’Heptaméron, où nous avons seulement inséré le texte entier des deux préfaces de Claude Gruget & de Boaistuau, avec, pour ce dernier, la concordance de ses numéros & de ceux de l’ordre ordinaire ; la notice des manuscrits & des éditions des Poésies de la Reine de Navarre ; la notice d’un manuscrit composé pour elle, & la notice de quelques portraits originaux de la Reine de Navarre, sont l’œuvre de M. Le Roux de Lincy. Nous leur ajoutons seulement une note particulière & plus étendue sur l’édition de Berne, ce qui était nécessaire puisque cette nouvelle édition en reproduit l’illustration.

Nous avons dit que nous empruntions le texte de M. Le Roux de Lincy ; nous y avons cependant introduit une modification typographique qui a son importance. Dans les éditions anciennes, comme dans les manuscrits, il n’y a que peu ou point d’alinéas. Même quand une Nouvelle est très-longue, elle va tout d’une venue, sans arrêt ni repos. Nous l’avons, au contraire, partagée en alinéas selon le sens, & nous avons coupé de même les dialogues. Il n’y a là absolument aucun changement de fond, si ce n’est plus de lumière, parce que, selon les cas différents, il y a tantôt contraste, tantôt repos & reprise. La facilité de la lecture, par conséquent la valeur même du style, y gagneront plus qu’on ne le peut croire. Comme M. Jouaust, à qui nous avions parlé de ce parti pour l’élégante réimpression qu’il a faite, en 1870, du texte de Claude Gruget, nous avons continué de distinguer par un caractère différent les deux parties bien distinctes de l’Heptaméron ; nous avons adopté un caractère pour les Nouvelles & un autre pour les prologues & les réflexions. L’Heptaméron se compose en réalité de deux choses : des Histoires &, à côté d’elles, des commentaires dont la Reine de Navarre les a accompagnées, en parlant soit en son nom, soit par la bouche de ses interlocuteurs. Il est même étonnant qu’on n’ait pas depuis plus longtemps traduit typographiquement cette distinction si évidente, dont la clarté en quelque sorte matérielle, qui va nécessairement plus loin, restitue son mouvement & sa légèreté à ce qui autrement paraissait trop serré & ne semblait ni s’interrompre ni finir. Par là, & plus encore par la ponctuation entièrement nouvelle, dans laquelle nous nous sommes astreints à suivre & à marquer avec soin les coupures réelles de l’idée & de la phrase, nous aurons peut-être, & sans rien toucher, contribué à faciliter l’intelligence & par suite à augmenter la valeur de l’œuvre.

Le Prologue & la première Journée complète se trouveront dans le premier volume ; le second comprendra les seconde, troisième & quatrième Journées ; les cinquième, sixième, septième & le commencement de la huitième formeront le troisième volume, qui terminera le texte.

Quant au quatrième, il sera entièrement consacré aux notes que M. Le Roux de Lincy avait mises à la fin de chacun de ses volumes ; il a paru plus convenable de les réunir à la fin pour ne pas rompre la suite des Nouvelles, aussi bien au point de vue littéraire qu’au point de vue typographique. On y trouvera également la note de M. Le Roux de Lincy sur les interlocuteurs mis en scène, sur les dates chronologiques, résultant des récits, qui montrent que l’Heptaméron est l’œuvre des dernières années de la Reine, & aussi une table & un glossaire, nécessairement nouveaux. Enfin le quatrième volume comprendra encore les poésies inédites de la Reine, extraites par M. Le Roux de Lincy des manuscrits de la Bibliothèque nationale & de l’Arsenal, & les quatre Farces, ou plutôt les Comédies pieuses, de Marguerite. M. Le Roux de Lincy avait donné les deux qui étaient inédites ; nous y avons joint les deux déjà imprimées, au XVIe siècle, dans la Marguerite des Marguerites, en les collationnant sur le manuscrit où elles se trouvent avec les deux autres.

On le voit, cette édition a un double caractère. En même temps qu’elle redonne une nouvelle vie à l’œuvre de deux charmants artistes du dernier siècle, elle rend pleine justice au beau travail de M. Le Roux de Lincy. Il n’est guère possible de mieux faire ni dans un autre sens, & nous ne saurions trop remercier la Société des Bibliophiles français de la bonne grâce avec laquelle elle nous a mis à même de rendre à l’un de ses membres les plus laborieux & les plus méritants l’hommage qui peut être le plus honorable à sa mémoire en en faisant une nouvelle édition. Pour ma part, le souvenir que j’ai gardé, comme tous ceux qui l’ont connu & pratiqué, des qualités personnelles & bienveillantes, comme de la bonne confraternité littéraire & de l’ardeur consciencieuse qui caractérisaient cet aimable homme, ce chercheur curieux & ce bibliophile passionné, m’a rendu particulièrement agréable d’avoir à suivre la révision & la réimpression de l’une des œuvres qui conserveront le mieux son souvenir.

Je serais heureux qu’on approuvât ce que je peux avoir ajouté à cette nouvelle édition ; mais, comme le meilleur vient certainement de lui, elle n’est pas mon œuvre, mais la sienne.


Anatole de Montaiglon.

  1. Un Inventaire des biens meubles du Comte d’Angoulême, père de François Ier & de Marguerite (I, 213-36), & deux États des officiers & domestiques de la Maison de François Ier en 1523 & 1529 (III, 237-93).